Brigitte Fichet, secrétaire académique du SNUAS FP livre ici un témoignage du travail au quotidien d’une assistante sociale et pousse un salutaire cri de colère…

<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01//EN" "http://www.w3.org/TR/html4/strict.dtd">

Très en colère, je l’étais quand j’ai entendu à la radio l’annonce du recrutement de 5000 médiateurs de réussite scolaire « emplois aidés » pour lutter contre l’absentéisme des élèves, en liaison avec les familles. Une telle remise en cause de nos qualifications et missions au profit de personnels non formés et sous statut précaire !

Surtout et avant tout, c’est mal connaître ce phénomène qui est si complexe, et très souvent un symptôme apparent de difficultés personnelles, sociales et familiales importantes, qui nécessite une prise en charge sociale et le recours à des réseaux professionnels.

C’est si vrai. La veille au soir, j’étais en visite à domicile dans la famille d’une jeune lycéenne, 16 ans scolarisée en classe de seconde, absente depuis plus de 2 semaines et pour laquelle les services de la vie scolaire n’arrivait pas en entrer en communication après plusieurs tentatives (téléphone, courrier …). Cette jeune d’origine tchétchène m’est apparue très éprouvée ainsi que sa mère. L’élève m’explique que pendant les vacances de noël, deux de ses cousins ont été assassinés dans leur pays. Depuis, cet événement a fait resurgir le passé. Elle est envahie par des émotions de tristesse et de colère qui la submergent et qui l’empêchent de vivre normalement, d’aller en cours. Depuis l’âge de 10 ans, date à laquelle elle est arrivée en France après avoir fui son pays avec sa mère et sa sœur, elle suit une scolarité ordinaire, sans embûche. Au cours de l’entretien, je sollicite vivement l’élève pour qu’elle se rende chez un médecin et nous parlons de soutien psychologique à mettre en place pour l’aider à gérer ce qui l’envahit. La mère de l’élève qui a du mal à parler notre langue me comprend et acquiesce d’un signe de tête. En accord avec l’élève et sa mère, je lui propose qu’à son retour au lycée, de faire le point avec le CPE pour envisager si besoin des aménagements. De mon côté, je reverrai la jeune et sa mère. Deux jours après notre entretien, l’élève me téléphonait au lycée pour me tenir au courant de ses démarches. Elle avait consulté un médecin qui l’a orienté vers un centre de soins.

Oui, de la colère car c’est vraiment méconnaître le fonctionnement des établissements scolaires et mépriser le travail éducatif qui est réalisé tous les jours et qui nécessite la présence de personnels en nombre devant les élèves. C’est ignorer que ce travail implique de la formation, de la qualification et de la stabilité, notamment pour pouvoir travailler en équipe. Or, depuis des années les emplois de CPE et d’Assistants Sociaux sont, entre autres, oubliés des autorités.

Pour les AS de l’Education Nationale, 20 créations de postes au niveau national depuis 4 ans ! 2800 postes de titulaires en exercice sur l’ensemble du territoire. Tout en rappelant qu’une de nos missions est de prévenir l’absentéisme en lien avec tous les acteurs de la communauté éducative, et de lutter contre le décrochage scolaire, dans le cadre de la prévention et de la protection de l’Enfance.

A propos de décrochage scolaire et de stabilité dans les équipes. Depuis plus d’une année, dans un collège où j’interviens une journée par semaine, nous suivons un jeune scolarisé en classe de 4ième. Je dis nous, car vraiment le suivi est pluridisciplinaire. Il est arrivé l’année scolaire dernière au 1er trimestre en classe de 5ième suite à un conseil de discipline décidant d’une exclusion définitive dans son établissement d’origine. Actuellement, âgé de 15 ans, il vit avec sa mère et ses 2 frères jeunes majeurs demandeurs d’emploi. Economiquement, leur situation est très précaire. Scolairement, il est arrivé désabusé, en échec scolaire voire en décrochage scolaire. Parallèlement, suite à des actes délictueux qu’il avait commis en dehors de l’école, une mesure éducative venait d’être mise en place assurée par une éducatrice de la PJJ. Le jeune était en attente d’audience dans le cabinet du Juge des enfants décidant d’éventuelles peines pénales. La situation du jeune étant complexe à différents niveaux, en concertation et avec l’accord de la famille, nous décidions très rapidement dès son arrivée au collège de mettre en place une équipe éducative réunissant les différents acteurs de la communauté (chef d’établissement, CPE, Professeur principal, conseillère d’orientation psychologue, infirmière, assistante sociale) en présence de l’élève avec sa mère ainsi que l’éducatrice de la PJJ. Et depuis, nous nous réunissons régulièrement pour accompagner ce jeune et sa mère. Nous sommes sur « le fil du rasoir »avec ce jeune car à tout moment, ça peut basculer. Retards, absences, désinvestissement scolaire sont à reprendre très rapidement (la vie s
colaire) et chacun d’entre nous intervient en fonction de notre spécificité. Et ce suivi doit et va continuer.

Or, il faut du temps pour rencontrer les équipes, expliquer, suivre l’élève et du temps pour proposer des mesures d’accompagnement à la famille, faire les liaisons avec les services extérieurs à l’Education Nationale dans un cadre déontologique garantissant le respect de leur vie privée. Tout un travail de médiation, de mise en synergie de tous les dispositifs et possibilités d’intervention et d’aide. Un travail discret, confidentiel qui ne se voit pas, et qui ne se voit même pas dans nos statistiques. Et tout cela sur une journée à une journée et demie par semaine pour un collège. Que dire !

Alors que nous nous bagarrons depuis des années syndicalement au niveau du SNUASFP/FSU pour réclamer des créations de postes, démarches auprès de l’Inspecteur d’Académie, des interventions régulières auprès d’instances comme dans les CAPA, en CTPA, au niveau ministériel…Combien de fois, de très nombreuses fois…

Quoi dire, alors que le Projet de Loi de Finances 2009 nous reconnaît un rôle central dans le repérage et le suivi des Elèves « le service social élèves est un acteur essentiel à la lutte contre l’absentéisme et les sorties prématurées du système scolaire, (…) ainsi qu’au renforcement du lien famille-école, … »

De la colère…Au renforcement du lien famille-école. Quoi dire de cette situation d’une jeune scolarisée en classe de 3ième dans l’autre collège où j’interviens. Elle est âgée de 14 ans et scolarisée en classe de 5ième. Ses parents sont divorcés depuis plusieurs mois avec la mise en place de la garde alternée depuis peu. Au mois d’octobre dernier, un signalement à l’Inspection d’Académie est envoyé pour absentéisme « perlé ». Après plusieurs contacts avec la mère de l’élève, les motifs évoqués à la CPE parlent de problèmes médicaux pour sa fille. Mais après intervention de l’infirmière, cette dernière souhaite que je rencontre l’élève afin d’évaluer plus précisément ses difficultés personnelles et familiales. L’élève, effectivement est en souffrance physique mais aussi psychologique. La mère de l’élève éprouvée par la séparation devait aussi faire face à une hospitalisation en parallèle. Devant la souffrance de sa mère, la jeune n’arrivait pas à se défaire de cette situation. Elle même somatisait. Du coup, sa mère autorisait sa fille à rester à la maison la voyant souffrante (mal de ventre, de tête…). L’absence pour cette élève était le seul moyen de s’exprimer. L’absentéisme dans cette situation fait penser qu’il y a quelque chose à garder dans la famille. Elle ne pouvait pas investir ailleurs que dans la famille. Il a fallu plusieurs entretiens avec la jeune, la mère pour décrypter la situation. Tout un travail de médiation avec le père et sa fille est en cours car leurs relations sont conflictuelles. Expliquer, dédramatiser, aider les parents à assumer leur responsabilité, leur rôle de protection envers leur fille. Qu’ils l’autorisent à reprendre sa place d’enfant. Aider le père à accepter une aide psychologique pour sa fille et l’accompagner. Car concrètement, il est le seul à pouvoir le faire. Sa mère n’a pas de moyen de locomotion et le collège se situe en zone rurale loin de centres de soins. Amener les parents aussi à accepter de rencontrer les équipes pédagogiques pour le suivi scolaire de leur fille.

Au travers de ces situations, l’AS avec ses outils se trouve à l’interface entre l’école, les élèves et les familles. Pour le traitement de l’absentéisme, elle reste partenaire à part entière tout au long du traitement social dans un cadre déontologique respectueux des droits des personnes et de leur vie privée.

L’annonce de ces mesures interrogent l’ensemble des collègues AS et remettent en question leurs missions et leurs interventions auprès des Elèves et de leurs familles dans un contexte de crise économique et sociale. Or, le service social en faveur des élèves s’inscrit dans un dispositif de prévention, de réduction des inégalités et de garantie d’accès aux droits.

Après un non-sens de plus, comment accepter de continuer notre travail sans être en colère ?

Devant de telles aberrations qui vont à l’encontre du respect de mon métier et du suivi des élèves, quoi dire ?

Si peut-être, continuer à demander des créations de postes :

-1 AS par ZEP, Zone sensible

– 1 AS pour 2 établissements et un effectif inférieur 1500 élèves

– 2 AS par circonscription en primaire (sans redéploiement des effectifs actuels)

Mesure beaucoup moins médiatique mais plus efficace !

B. FIC
HET

Service social en faveur des élèves.

9.02.09