* communiqué FSU

* note de Laurent Mucchielli sur les "statistiques" erronées de Rachida Dati (historien et sociologue de formation, Chargé de recherches au CNRS, Laurent Mucchielli travaille au CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales) dont il est aussi le directeur.

* dialogue "chat" de Laurent Mucchielli sur Le Monde

* avis de la défenseur des enfants sur le rapport de la commission Varinard

Communiqué FSU

Le rapport de la commission Varinard chargée par la ministre de la Justice de réformer l’ordonnance de 1945 relative aux mineurs délinquants ne laisse aucun doute sur la volonté de faire disparaître le contenu même de l’ordonnance, à savoir les missions d’éducation et de prévention. Les précautions oratoires consistant à réaffirmer la primauté de l’éducatif et le caractère exceptionnel de l’incarcération sont contredites par un catalogue de mesures qui vont dans le sens inverse, allant jusqu’à proposer l’incarcération d’enfants de 12 ans.

La FSU dénonce ces orientations dont les effets risquent d’être désastreux pour les jeunes et leur éducation ; elle exige le maintien de l’esprit de l’ordonnance de 1945 qui privilégie l’éducation sur la répression avec un service public d’éducation indépendant de l’administration pénitentiaire au sein du ministère de la Justice.. Elle exige notamment le maintien d’une Justice spécifique pour les mineurs séparée de celle des majeurs et de la double compétence civile et pénale de la PJJ, la fermeture des EPM qui font de l’incarcération la réponse privilégiée. Elle demande fermement au gouvernement de ne pas reprendre les conclusions de cette commission.


La FSU sera partie prenante de la mobilisation des personnels de la PJJ contre la casse de leur institution. Elle poursuivra son implication dans les initiatives unitaires. Elle soutient le SNPES-PJJ-FSU dans sa décision de déposer un préavis de grève reconductible pour être en mesure de réagir le plus rapidement possible aux décisions du gouvernement à la suite de ce rapport.

Questions réponses avec Laurent Mucchielli

Dans un "chat" sur Le Monde.fr, le sociologue Laurent Mucchielli revient sur la polémique sur la délinquance des mineurs, après la proposition de Rachida Dati d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale à 12 ans. Dans une note publié sur le blog Claris, le chercheur avait mis en cause les statistiques évoquées par la ministre de la justice.

A440 : Constate-t-on, dans les chiffres, une évolution récente de la délinquance des mineurs, dans le nombre ou le type d’actes commis, ou l’âge des jeunes qui les commettent ?

Laurent Mucchielli : Globalement, non. On constate même une baisse du pourcentage de mineurs mis en cause par la police et la gendarmerie. Ce qui veut dire en réalité non pas que la délinquance des mineurs baisse, mais qu’elle est moins forte que celle des majeurs.

Donc il y a certainement des questions à discuter pour les mineurs, mais selon ces chiffres de la police, le premier problème, ce sont les majeurs. Cela dit, si l’on vient sur les véritables problèmes de fond, le problème n’est pas une modification récente du comportement de nos jeunes. Il y a des problèmes de délinquance, et ce n’est pas nouveau.

Je vois en réalité deux enjeux de fond : le premier est un processus de judiciarisation aux termes duquel on poursuit aujourd’hui des mineurs pour des faits qui ne sont pas nouveaux, mais que, autrefois, on était capable de gérer sans saisir la police et la justice.

Le deuxième enjeu de fond, c’est le processus de ghettoïsation aux termes duquel sont concentrées dans les quartiers que l’Insee appelle les "zones urbaines sensibles" les familles les plus précaires à tous points de vue, ce qui a notamment pour conséquence l’importance du niveau de certaines délinquances juvéniles.

Etudiant_Droit : Y a-t-il une évolution dans l’âge des mineurs délinquants ? Sont-ils de plus en plus jeunes ?

Laurent Mucchielli : Je pense que cette petite formule "ils sont de plus en plus jeunes et de plus en plus violents" est un véritable lieu commun du débat public, répété en boucle depuis maintenant plus de quinze ans, et qui relève avant tout du café du commerce.

Aucune étude scientifique n’a jamais établi ce point. Et les quelques indicateurs que nous avons, non pas sur les statistiques administratives mais sur les enquêtes en population générale, concluent tous à une stabilité des problèmes sur les dix dernières années.

Kb_1 : Que pensez-vous de l’idée de réduire l’âge de la responsabilité pénale à 12 ans ?

Laurent Mucchielli : Je ne suis pas du tout hostile à l’idée de responsabilité individuelle,à condition qu’elle n’exclue pas l’idée de responsabilité collective. J’estime que nous sommes tous responsables de la façon dont grandissent les enfants, parce que nous ne sommes pas simplement une collection d’individus, nous formons ensemble une société.

Test : Pourquoi refuser la prison à 12 ans ? Ce pourrait être formateur pour certains jeunes…

Laurent Mucchielli : C’est un autre lieu commun et une autre illusio
n que de croire que la prison fait du bien aux enfants.

Malheureusement, depuis qu’elle existe, la prison est bien souvent "l’école du crime", et les enfants en ressortent généralement en plus mauvais état qu’ils n’y sont entrés.

Latifa : Selon vous, cette volonté de durcir le traitement des mineurs délinquants raconte-t-elle quelque chose sur l’état de la société française en ce moment ? Y a-t-il d’autres exemples dans l’Histoire où l’on a voulu enfermer de très jeunes enfants ?

Laurent Mucchielli : Je crois qu’il y a à la fois un recul des idées de solidarité et de responsabilité collective au profit de l’individualisme et de la responsabilité individuelle. Il y a ensuite un recul des solidarités de proximité qui permettaient jadis de réguler tant bien que mal les désordres juvéniles, qui ont toujours existé.

Je crois enfin qu’on fait aujourd’hui une profonde erreur en pensant que, parce qu’il mesure 1,85 mètre et mange trois steaks à chaque repas, un adolescent de 15 ou 16 ans est devenu un adulte.

Il faudrait à mon avis écouter davantage les spécialistes de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent.

Mariana : L’ordonnance de 1945, qui encadre la justice des mineurs, est-elle aussi obsolète que le disent les partisans de la réforme ?

Laurent Mucchielli : L’ordonnance de 1945 pose avant tout des principes généraux. Parce que dans le détail, en réalité, et comme le rapport Varinard le rappelle lui-même, elle a déjà été réformée trente et une fois. Donc on voit bien que l’enjeu n’est pas fondamentalement technique, il est surtout politico-idéologique.

Les praticiens et les spécialistes s’accordent pour penser que l’ensemble des textes qui régissent la justice des mineurs ont besoin d’un toilettage général et d’une simplification.

Ils s’accordent également pour dire qu’il faut continuer à réfléchir pour améliorer sans cesse la prise en charge des mineurs délinquants. Mais je crains, hélas, que les enjeux de la réforme en cours ne soient d’abord de nature politique.

Seb : Quel est le véritable risque d’un durcissement du droit pénal des mineurs, pour la société en général et les mineurs en particulier ?

Laurent Mucchielli : Le risque principal est que, à vouloir aller trop vite sans se donner les moyens de bien connaître les mineurs, et à vouloir punir pour punir ou pour mettre à l’écart, on risque de distribuer des remèdes qui seront pires que le mal.

C’est ce que disent la plupart des magistrats de l’enfance, et je crois qu’on ferait bien de les écouter davantage. Ce sont eux les meilleurs spécialistes.

Samir : Il y a longtemps, la majorité était acquise à 21 ans, aujourd’hui à 18 ans. Les jeunes sont de plus en plus matures au fil des années. Ne faudrait-il pas avancer l’âge de la majorité autour des 16 ans ?

Laurent Mucchielli : Comme je le disais il y a un instant, ce n’est pas ce que disent les spécialistes de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent. A certains égards, on peut même soutenir que c’est le contraire : nous vivons dans une société où l’adolescence se prolonge, où la jeunesse s’attarde, dans le sens où l’insertion professionnelle est de plus en plus difficile.

C’est pourquoi beaucoup considèrent qu’il faudrait, au contraire, renforcer le statut des jeunes majeurs. Au fond, je dirais que nous plaçons aujourd’hui les jeunes dans une situation totalement paradoxale, et même un peu schizophrénique, puisque d’un côté ils sont jeunes de plus en plus longtemps et ont de plus en plus de mal à s’insérer, et d’un autre côté, on voudrait les regarder de plus en plus tôt comme des adultes.

Merou : Il me semble que le rapport ne prône pas du tout, au contraire, l’emprisonnement. La question abordée n’est-elle pas plutôt de savoir comment encadrer les mineurs ?

Laurent Mucchielli : Effectivement, à part le symbole de l’abaissement à 12 ans de l’âge à partir duquel une peine de prison peut être prononcée, le contenu du rapport est plus modéré. Il y a même certaines propositions qui me semblent largement partagées par les praticiens et les spécialistes.

Toutefois, ce pragmatisme, auquel tout le monde adhère aujourd’hui, me semble encore biaisé par une volonté de dramatisation des problèmes, une volonté politique d’affichage d’une attitude répressive et enfin deux problèmes qui restent entiers : le premier problème est qu’on continue à réfléchir à des réponses uniquement pénales face au processus de judiciarisation que j’évoquais, et alors qu’on pourrait réfléchir aussi à d’autres solutions.

Le deuxième problème est qu’on demande toujours plus d’efficacité aux différents acteurs de la justice, sans leur en donner par ailleurs les moyens humains et financiers.

Le résultat est que les logiques d’urgence et de rentabilité mettent de plus en plus en péril l’efficacité des décisions judiciaires.

Kb_1 : Quelles sont les alternatives à cette judiciarisation excessive, pour permettre à ces enfants d’être recadrés ?

Laurent Mucchielli : Je pense qu’on pourrait essayer de réinventer des modes de gestion infra-judiciaires des petits désordres juvéniles, qui sont les plus nombreux et qui sont ceux qui gênent le plus nos concitoyens dans la vie quotidienne. Il faudrait pour cela accepter de rem
ettre en cause une tendance continue depuis le début des années 1990 encourageant les particuliers comme les institutions à se décharger systématiquement sur la police et la justice.

On pourrait par exemple remettre à plat cette question à propos de l’école et des incidents qui ont lieu dans l’espace scolaire. Et plus largement, dans toutes les institutions qui prennent en charge des mineurs. N’y a-t-il pas d’autres moyens de traiter des bagarres de cour de récréation, des dégradations et des outrages à enseignants ?

Indralulu : Les parents de ces enfants devraient-ils aussi avoir une part de responsabilité ?

Laurent Mucchielli : Les parents sont bien sûr les premiers responsables du comportement de leurs enfants. Et c’est déjà le cas : ils sont aujourd’hui déjà pénalement responsables. Mais encore une fois, la tendance actuelle est de tout rabattre sur leur responsabilité et celle de leurs enfants. Cela me semble une démission collective. C’est l’ensemble des adultes constituant une communauté humaine qui sont aussi responsables de l’ensemble de leurs enfants.

J’ajoute que le discours sur la démission des parents est à nouveau un discours de type café du commerce moralisateur. La plupart des parents sont tout à fait préoccupés par le devenir de leurs enfants, mais ils peuvent être désemparés. Ils n’ont pas besoin de sermons, ils ont besoin d’aide concrète.

Kb_1 : Cette délinquance juvénile est-elle une plaie intrinsèque à nos sociétés occidentales ?

Laurent Mucchielli : Les historiens nous disent qu’ils ne connaissent pas de société urbaine qui n’ait pas connu de problèmes avec sa jeunesse.

Je peux donner l’exemple concret des viols collectifs. En 2001 et 2002, rebaptisés "tournantes", ces viols ont été présentés comme un phénomène nouveau en pleine augmentation et spécifique aux jeunes issus de l’immigration habitant les quartiers sensibles.

Or j’ai pu montrer sans difficulté que ces comportements étaient tout sauf nouveaux, qu’ils étaient stables, et que, s’ils étaient plus fréquents dans ces quartiers, ils se rencontraient également ailleurs.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, on peut et on doit toujours pousser plus loin l’analyse et l’amélioration de la prise en charge. Mais il faut cesser de croire que la délinquance se révolutionne tous les matins et cesser de faire croire qu’il suffit de la "volonté politique" pour la faire disparaître.

Le "risque zéro" est un discours marketing que l’on peut comprendre pour des produits commerciaux, mais les humains sont plus compliqués, et on ne résout pas les problèmes d’un jeune comme on traite une maladie ou comme on répare une voiture.

Gabur : Quelles sont les zones géographiques où la délinquance des mineurs est la plus présente ?

Laurent Mucchielli : Repartons des deux processus de fond que j’évoquais tout à l’heure. La judiciarisation touche tous les territoires. En revanche, le processus de ghettoïsation concerne cette partie des quartiers populaires où la situation générale ne cesse de se dégrader.

Il y a donc potentiellement des problèmes partout, mais ils réclament des grilles d’analyse en partie différentes. Dans les quartiers en voie de ghettoïsation, le problème numéro 1 est en réalité l’échec scolaire.

Associé à la perspective du chômage et de l’impossible insertion sociale, c’est là un véritable accélérateur de délinquance.

Fabvan : Les problèmes que vous évoquez s’expriment de diverses manières dans différentes sociétés. Quelle est donc la particularité française ?

Laurent Mucchielli : A des degrés divers, je crois qu’aucune société occidentale n’échappe à ces questions. Néanmoins, la France cumule peut-être plusieurs handicaps. Le phénomène de ghettoïsation des grands ensembles en est un ; l’ampleur du chômage des jeunes en est un autre ; et l’ampleur de l’aveuglement collectif sur le fonctionnement de notre école républicaine en est encore un.

Nous continuons à croire que notre école est aujourd’hui la matrice républicaine, le cœur de la fabrique de l’égalité des citoyens. La réalité, c’est que dans une même ville, en regardant simplement les résultats au brevet des collèges, on peut constater des inégalités tellement fortes selon les établissements (de 40 % à plus de 90 % de taux de réussite) qu’il faut bien conclure que cette égalité est un mythe.

Bruno Jean : Face à la supposée "démission des parents", croyez-vous que la multiplication des "responsabilités collectives" soit de nature à donner confiance à ces parents ? Ne vont-ils pas alors chercher à se "déresponsabiliser"?

Laurent Mucchielli : Je n’oppose pas la responsabilité individuelle à la responsabilité collective. Les parents ont fondamentalement besoin de sentir et d’éprouver le fait qu’ils ne sont pas seuls à chercher des solutions pour leurs enfants. Et ils ont besoin de trouver des interlocuteurs publics qui leur proposent de les aider, et non de les culpabiliser. Encore une fois, la plupart des parents sont tout à fait préoccupés du devenir de leurs enfants, mais ils peuvent être dépassés par la situation.