Synthèse réalisée par un camarade du bureau du SNUipp-FSU à partir d’un article de N Hirtt.

Nico Hirtt est un enseignant-chercheur belge. L’article est paru dans la revue l’Ecole Démocratique de septembre 2009). Syndicaliste, chercheur marxiste, agrégé de sciences physique, enseignant en physique et mathématique dans le Brabant Wallon (Belgique), membre fondateur de l’APED (Appel Pour une École Démocratique), il est le rédacteur en chef de la revue trimestrielle « L’école démocratique » et auteur de divers ouvrages sur l’école.

Dans ce long article, l’auteur développe les points suivants :

Derrière l’approche par compétences se cachent essentiellement des objectifs économiques liés à l’évolution du marché du travail :

Apparue dans les années 70, la notion d’approche par compétences s’est généralisée à partir des années 90, période où l’on commence aussi à parler de globalisation, de « société de la connaissance ». Issue de l’entreprise, la notion a été transférée à la formation professionnelle dans un premier temps, puis à l’enseignement général. Il s’agit de réorienter les systèmes éducatifs afin qu’ils répondent mieux aux demandes du marché du travail, le système traditionnel n’étant pas jugé à ce titre suffisamment performant. Le moteur de cette mutation est l’interaction de la crise de surproduction et l’innovation technologique censée trouver de nouveaux débouchés à cette surproduction. Cela entraîne surtout une imprévisibilité des marchés rendant impossible la prédiction de ce que seront les secteurs « porteurs » à moyen terme, prédiction sur laquelle se fonde la construction des systèmes éducatifs. Du coup la polyvalence des salariés dévient déterminante, et l’adaptabilité un critère fondamental. Stabilité (dans l’emploi) devient par conséquent synonyme de rigidité.

La deuxième grande évolution du marché du travail concerne les niveaux de formation et de qualification : si de fortes créations d’emploi sont attendues dans les postes requérant un haut niveau de technicité, un nombre important d’emplois faiblement qualifiés reste et restera encore longtemps nécessaire (de 8,6% en 1996, à 10,9% en 2005, avec une prévision de 11,8% en 2015). Une polarisation se met en place, qui entraîne un déclin des emplois intermédiaires. L’approche par compétences offre des éléments de réponse à cette situation particulière. En rapprochant le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise, en recentrant la formation sur l’adaptabilité, elle permet de résoudre la contradiction entre un enseignement commun et un marché du travail de plus en plus polarisé. Le caractère flexible du concept de compétences permet en effet de réduire les objectifs de l’enseignement obligatoire à un plus petit dénominateur (les compétences de base), bagage commun à ceux qui occuperont des emplois situés aux deux extrémités du marché du travail : capacité de communication ( dans sa langue et dans une langue étrangère), culture scientifique, connaissance numérique -savoir utiliser un ordinateur-, flexibilité et esprit d’entreprise. Cela ne signifie pas que cela suffise, et on sait bien que les élites sociales bénéficieront de la formation supérieure permettant l’accès aux postes à responsabilité. Mais cela se fera en partie en dehors de l’école ou dans les voies « royales » qui leur sont déjà réservées. La question est donc de savoir non pas de quelles compétences les jeunes ont besoin pour « se débrouiller » et s’intégrer, tant bien que mal, dans un système qui génère les graves crises que le monde moderne connaît, mais bien quels savoirs et quelles valeurs l’école doit transmettre pour une formation générale, humaniste et polytechnique qui permette de sortir d’un système économique et social injuste.

L’approche par compétences constitue bel et bien un abandon des savoirs :

En donnant la priorité aux compétences, les connaissances, les savoirs passent au second plan. On n’apprend plus le français, l’anglais, la littérature, on apprend à communiquer. On n’apprend pas l’informatique, mais on se forme à utiliser les logiciels « Microsoft ». Le temps consacré à l’élaboration de compétences se fait au détriment de celui consacré à l’appropriation de savoirs, et le survol des connaissances a tendance à se généraliser. De plus, l’idée qu’il existerait des super-compétences, dites transversales, indépendantes des savoirs à mettre en oeuvre, est dénuée de fondement : peut-on développer, par exemple, la « capacité à résoudre des problèmes », sans maîtriser les outils mathématiques à mettre en oeuvre ?

L’approche par compétences ne peut en aucune façon se réclamer du constructivisme pédagogique ; il se situe en réalité à l’opposé des pédagogies progressistes :

La démarche constructiviste ( issue des travaux de Piaget, Vigotsky en particulier) consiste à mettre l’apprenant en situation de « construction-reconstruction » des savoirs, c’est-à-dire à lui permettre, à son échelle, de parcourir un processus identique à celui qui a vu éclore le savoir qu’il étudie ( avec les interrogations, les erreurs qui ont permis son élaboration). La résolution d’une tâche, d’une situation problème est un moyen, un cadre dans lequel vont se construire les savoirs. Dans l’objectif par compétences, on fait le contraire : la résolution de la tâche est l’objectif principal, et le savoir n’intervient que comme accessoire. Peu importe qu’on le trouve dans un livre, sur Internet, qu’on le comprenne ou qu’on sache juste l’utiliser, du moment que la tâche est menée à bien.

Le rapport à l’erreur en particulier est complètement inversé : alors qu’elle est, dans le premier cas, un levier pédagogique, elle devient un handicap dans le second.

Le but de l’école n’est pas d’apprendre à réaliser des tâches, mais d’apprendre et de s’approprier des connaissances, d’une manière qui peut être contextualisée, certes, mais avec un objectif de maîtrise plus large. Or, dans l’approche par compétences, l’usage que l’on fait de la connaissance a plus d’importance que la connaissance elle-même. L’idée sous-jacente étant que les connaissances évoluent en permanence, il n’est pas utile de consacrer ( perdre ?) du temps à les apprendre. Il en résulte un appauvrissement des contenus.

L’approche par compétences est un élément de dérégulation qui renforce l’inégalité (sociale) du système éducatif.

L’idée que « chaque élève puisse être apprécié à sa juste valeur…sur ses capacités et ses moyens » a pour conséquence un renforcement de l’individualisation de l’enseignement. L’enseignant n’a plus vraiment pour tâche d’enseigner, mais d’accompagner des élèves qui avanceront à leur propre rythme. Il va de soi que selon le milieu social, les rythmes ne seront pas les mêmes, et que dans les classes favorisées, on ne se contentera pas de tâches et de compétences superficielles.

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D’autres chercheurs (M. Crahay, Bernard Rey, deux Suisses) interrogent la notion de compétences. Leur approche ne rejoint pas forcément celle, plus politique, de Nico Hirtt. Cependant, leurs recherches pointent le fait que derrière cette notion, un grand flou existe. Cataloguée de « Caverne d’Ali Baba », de fourre-tout conceptuel, la notion est très ambiguë. A l’heure où l’on demande aux enseignants d’évaluer en permanence les compétences de leurs élèves, où eux-mêmes sont évalués en fonction des acquisitions de ces derniers, où la formation professionnelle va se réduire à un simple compagnonnage, le risque est grand que se développent, pour justifier d’un nombre maximal de « compétences » validées, des pratiques d’apprentissage par répétition, intégration de mécanismes sans la compréhension ni la mobilisation nécessaire à l’acquisition des notions sous-jacentes. Les élèves les plus fragiles en seront les plus pénalisés.