<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01//EN" "http://www.w3.org/TR/html4/strict.dtd">

« C’est un assassinat de l’école maternelle »

Catherine Dolto-Tolitch

Éducation . Entretien avec la psychothérapeute Catherine Dolto-Tolitch qui dénonce les mesures prônées par Xavier Darcos pour les plus petits .

La tendance n’est pas nouvelle. Depuis des années, la pression ne cesse de s’exercer sur des enfants de plus en plus petits à qui l’on demande dès la maternelle parfois, d’apprendre à lire, à compter, avec carnet de notes à l’appui. Cette fois, il ne s’agit plus de tendance mais d’un véritable programme gouvernemental « d’appropriation du langage » et de « découverte de l’écrit » dès la dernière année de maternelle. Son but déclaré : mieux lutter contre l’échec scolaire. La psychothérapeute Catherine Dolto-Tolitch s’en inquiète.

Si le projet de programmes de l’école primaire fait monter au créneau de nombreux acteurs de l’éducation, que pensez-vous de celui qui concerne la maternelle ?

Catherine Dolto-Tolitch. En primaire, l’instruction de la morale ne peut remplacer les bases que l’on doit donner à un enfant afin qu’il se construise une éthique de vie en société. Mais ce qui est proposé pour les plus petits, c’est un assassinat de l’école maternelle. Il est légitime de savoir constater les difficultés croissantes et graves de maîtrise de la lecture et de l’écriture chez les jeunes. Car savoir mettre les mots, c’est nous permettre d’apprivoiser la vie, c’est ce qui fait qu’elle est vivable. Ne pas pouvoir le faire est donc grave. Mais si la réponse donnée à ce problème est de proposer un apprentissage de la lecture et de l’écriture plus tôt, à l’école maternelle, c’est une erreur majeure.

Pourquoi ?

Catherine Dolto-Tolitch. Parce qu’on placerait l’apprentissage cognitif avant la maturité psychoaffective nécessaire pour apprendre à lire et à écrire. L’évolution des petits entre deux ans et demi et cinq ans et demi six ans est gigantesque. Beaucoup plus grande qu’entre six et douze ans. Et les enfants sont loin d’être à égalité dans cette période. Pas seulement pour des raisons socio-économiques, mais aussi pour des raisons de maturation psychoaffective qui se fait dans des temporalités très différentes. Placer la cognition avant la maturation psychoaffective, c’est faire de l’être quelqu’un de bancal pour toujours. Peut-être qu’il saura lire et écrire, ce qui n’est pas certain, mais il ne saura pas diriger sa vie autant sur un plan personnel que sur un plan social. On ne peut pas mobiliser l’intelligence cognitive d’un enfant, s’il n’est pas en sécurité affective. Il a d’abord besoin d’une maturation des sens, du goût, de l’être ensemble, de la connaissance de soi.

N’est-ce pas là encore une méconnaissance du développement des enfants ?

Catherine Dolto-Tolitch. Nous sommes dans une période où tout ce qui est psychoaffectif est méprisé. Or, si l’on regarde les gens qui mènent le monde, ce n’est pas avec leur cognition qu’ils le mènent. Et c’est justement parce qu’ils ne sont pas au courant de ce qu’ils sont sur le plan affectif, qu’ils prennent des décisions incohérentes. Si les directives viennent désormais d’en haut, c’est que nous passons à une autre étape qui m’inquiète beaucoup.

On m’adresse des enfants en échec scolaire en maternelle moyenne ! On s’arrache les cheveux ! Ce sont les plus sensibles et les plus atypiques qui vont trinquer. Les enfants les plus intelligents, ceux qui ont un type d’intelligence qui fait les grands mathématiciens, les grands poètes, les grands créatifs, freinent l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Parce qu’ils sentent obscurément que quand ils auront intégré cette grille sur leur imaginaire, ils vont y perdre beaucoup. Donc, ils freinent. Mais quand ils sont prêts, ils apprennent à lire et à écrire très vite. Chaque année, j’en rencontre quatre ou cinq complètement déprimés, qui se découragent, perdent confiance en eux. On sabote à la base leur capacité d’entrer dans le goût d’apprendre. Je suis très alarmée. Si ce n’est pas dans les fondations que l’on s’occupe bien d’un enfant, le citoyen et l’humain qu’il sera est blessé pour toujours. Et on fabriquera de l’échec scolaire et du découragement de soi. Un livret à l’école maternelle ou un carnet de note à quatre ans, c’est dingue et cela fabriquera de l’échec, personnel et scolaire.

Entretien réalisé par Maud Dugrand