Léonarda, 15 ans, arrêtée et expulsée pendant une sortie scolaire

14 octobre 2013 | par RESF

Mme Dibrani et ses 6 enfants ont été expulsés mercredi 9 octobre au matin vers le Kosovo. Ils habitaient un appartement à Levier (Doubs) qu’ils occupaient dans le cadre de la prise en charge des demandeurs d’asile du DLHD.

M. Dibrani était depuis fin août retenu au centre de rétention de Strasbourg. Assigné à résidence, il a été arrêté à Mulhouse. Son expulsion programmée 2 fois a été repoussée jusqu’à mardi 8 octobre au matin.

Après cette expulsion, le mardi soir Mme Dibrani a réaffirmé son vœu de rester en France pour l’avenir de ses enfants malgré l’angoisse qu’elle ressentait à l’idée d’être seule avec sa famille. Les enfants qui ont entre 5 et 17 ans étaient scolarisés depuis plus de 3 ans, ils étaient en France depuis presque 5 ans (4 ans et 10 mois), autrement dit, dans deux mois, ils entraient de plein droit dans le cadre dela circulaire Valls et pouvaient être régularisés. Le mardi soir avant l’expulsion la mère était perdue, les enfants attendaient et Hasan, l’avant dernier âgé de 5 ans, recopiait des lettres apprises à l’école agenouillé au-dessus d’un carton.

La plus petite Médina est âgée d’un an, elle est née en France. Tous les enfants parlent parfaitement le français. Maria et Leonarda ont obtenu le DELF diplôme de français niveau B1 demandé par la préfecture pour obtenir la nationalité française. Après ses années de collège, Maria a fait cette année sa rentrée au lycée Toussaint Louverture en première année de CAP service. Son professeur de français souligne sa volonté et son enthousiasme. Dans le petit sac de sport qu’elle a pris le matin de l’expulsion, elle a emporté son costume de travail.

Leonarda, scolarisée en 3ème DP3 (option découverte professionnelle) au collège André Malraux, n’était pas chez elle ce matin là. Les professeurs de la classe avaient organisé une sortie à Sochaux sur toute la journée avec un départ à 7h00. Pour être à l’heure, elle ne pouvait pas prendre le bus de son domicile. Elle a donc dormi chez une amie à Pontarlier. Les policiers ont été renseignés sur l’endroit où elle se trouvait. Le maire de Levier a appelé Léonarda et a demandé à parler à un professeur présent dans le bus, elle a transmis son téléphone à Madame Giacoma, professeur d’histoire-géographie-éducation civique au collège Malraux.

Mme Giacoma : « je n’ai pas compris tout de suite ce qui se passait, j’ai cru que c’était la mère de Léonarda qui voulait être rassurée et en fait, c’était le maire de Levier, commune de résidence de Léonarda, qui m’a précisé qu’il savait que nous nous rendions à Sochaux et il me demandait expressément de faire arrêter le bus. Dans un premier temps j’ai refusé en précisant que ma mission était d’aller à Sochaux avec tous les élèves inscrits pour cette sortie pédagogique (visite de lycées + visite de l’usine Peugeot). Le maire de Levier, Albert Jeannin, m’a alors passé au téléphone un agent de la PAF qui était dans son bureau : son langage était plus ferme et plus directif, il m’a dit que nous n’avions pas le choix que nous devions impérativement faire stopper le bus là où nous étions car il voulait récupérer une de nos élèves en situation irrégulière : Léonarda Dibrani cette dernière devait retrouver sa famille pour être expulsée avec sa maman et ses frères et soeurs ! Je lui ai dit qu’il ne pouvait pas me demander une telle chose car je trouvais ça totalement inhumain … il m’a intimé l’ordre de faire arrêter le bus immédiatement à l’endroit exact où nous nous trouvions, le bus était alors sur une rocade très passante, un tel arrêt aurait été dangereux ! Prise au piège avec 40 élèves, j’ai demandé à ma collègue d’aller voir le chauffeur et nous avons décidé d’arrêter le bus sur le parking d’un autre collège (Lucie Aubrac de Doubs). J’ai demandé à Léonarda de dire au revoir à ses copines, puis je suis descendue du bus avec elle, nous sommes allées dans l’enceinte du collège à l’abri des regards et je lui ai expliqué la situation, elle a beaucoup pleuré, je l’ai prise dans mes bras pour la réconforter et lui expliquer qu’elle allait traverser des moments difficiles, qu’il lui faudrait beaucoup de courage… Une voiture de police est arrivée, deux policiers en uniforme sont sortis. Je leur ai dit que la façon de procéder à l’interpellation d’une jeune fille dans le cadre des activités scolaires est totalement inhumaine et qu’ils auraient pu procéder différemment, il m’ont répondu qu’ils n’avaient pas le choix, qu’elle devait retrouver sa famille…Je leur ai encore demandé pour rester un peu avec Léoanarda et lui dire au revoir (je l’a connais depuis 4 ans et l’émotion était très forte). Puis j’ai demandé aux policiers de laisser s’éloigner le bus pour que les élèves ne voient pas Léonarda monter dans la voiture de police, elle ne voulait pas être humiliée devant ses amis ! Mes collègues ont ensuite expliqué la situation à certains élèves qui croyaient que Léonarda avait volé ou commis un délit. Les élèves et les professeurs ont été extrêmement choqués et j’ai du parler à nouveau de ce qui s’était passé le lendemain pour ne pas inquiéter les élèves et les parents. »

Lorsque la famille est partie, nous avons essayé de joindre par mail la préfecture fermée le mercredi matin. Mais la famille a été emmenée directement à l’aéroport pour prendre un avion à 13h00 le même jour. Nous avons eu au téléphone les deux filles Maria et Leonarda jusqu’au départ de l’avion.

Nous, professeurs du collège André Malraux et du lycée Toussaint Louverture, sommes profondément choqués par les méthodes utilisées pour renvoyer des enfants issus de la minorité rom vers des pays qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne parlent pas la langue.

Nous, professeurs du collège André Malraux et du lycée Toussaint Louverture, sommes choqués de voir comment les efforts d’intégration fournis par ces enfants à l’école sont réduits à néant par des politiques aveugles et inhumaines.

Nous demandons le retour immédiat des enfants en France pour leur sécurité.

Enseignants du collège André Malraux et du lycée Toussaint Louverture

Le récit qui précède est celui d’enseignants des enfants.

Le constat est amer. D’abord parce qu’une expulsion, quelle qu’elle soit, est une violence. Le pays où vous espériez faire (refaire) votre vie ne veut pas de vous, vous exclut, vous repousse physiquement. Cet ostracisme est insupportable pour des adultes. Il est dévastateur pour des enfants. Il faut regretter que des responsables de gauche, disant défendre certaines valeurs, pour certains d’entre eux prétendant se souvenir de leur passé d’immigré, fassent mine de l’ignorer pour booster leur carrière.

On a honte pour tous ceux qui, de près ou de loin, maire, fonctionnaires de la PAF, préfet, membres du cabinet, imbéciles ou salauds, ont collaboré à cette arrestation. Ont-ils remarqué quela jeune Léonardaa été interpellée sur le parking du collège Lucie Aubrac ? Aubrac ? Connais pas ?

Il faut dire, en prime, que cette malheureuse famille paye, comme d’autres, la lâcheté politique des ministres de l’Intérieur successifs, de Nicolas Sarkozy à Manuel Valls en passant par Hortefeux, Besson et Guéant. En effet, la saine incompréhension des élèves, des enseignants, des parents ont, de fait, pratiquement interdit l’expulsion des élèves depuis des années. Impossible de mettre dans un avion à destination de Bamako ou d’Alger une famille avec deux ou trois enfants sans provoquer la révolte des passagers.

Ne restent plus dès lors que les familles qui peuvent être montées dans les avions privés du ministère des expulsions et envoyées vers les pays qui acceptent de recevoir ces avions : les pays de l’union européenne astreints à accueillir les « Dublin II »…. Et le Kosovo, état croupion, que les ministres de l’Intérieur, Valls comme Guéant et Besson, obligent à admettre ses avions prison, transportant une femme et ses six enfants, sur son sol. La honte.

MR