Tribune libre publiée dans Le journal "Le Monde", juillet 2008
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Les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) sont promis à la disparition. Le concours de recrutement des enseignants aura lieu désormais au milieu de la cinquième année d’université (en mastère 2), quelques éléments de formation professionnelle seront dispensés entre février et juin et la prise de poste s’effectuera dès la rentrée suivante, avec un simple "compagnonnage" par des professeurs expérimentés. En reculant d’un an l’entrée dans la carrière, l’Etat fera ainsi de substantielles économies sur les salaires. Il transférera progressivement aux composantes des universités la responsabilité de la formation des enseignants et pourra fermer très vite de nombreux IUFM un peu partout.
Il reste, bien sûr, beaucoup de questions. Y aura-t-il un cadrage national des mastères préparant à l’enseignement ? Cela serait nécessaire, mais c’est contradictoire avec l’autonomie des universités qui risquent, tout simplement, de fagoter en vitesse des ersatz de mastère pour ne pas perdre des étudiants. L’inégalité de la formation sur le territoire national sera ainsi officialisée. Pour les lycées et collèges, la formation professionnelle risque de passer tout simplement à la trappe : on se contentera d’une formation disciplinaire – évidemment indispensable – et de quelques observations censées donner les "recettes" du métier.
Or, comment peut-on imaginer envoyer ainsi des professeurs débutants, sans préparation sérieuse, dans des collèges où les élèves, chauffés à blanc par la frénésie consommatrice, ont de plus en plus de mal à fixer leur attention… ou même dans des lycées qui exigent, aujourd’hui, une vraie formation pour faire face à des adolescents et de jeunes adultes qui n’entrent pas de plein gré dans les contraintes scolaires ? Et comment formera-t-on les étudiants qui se destinent à l’enseignement primaire ? S’agira-t-il d’un approfondissement dans la discipline de la licence, de compléments de formation dans les autres disciplines ou d’un cursus centré sur la pédagogie ? Imagine-t-on laisser différentes formations coexister ? Si c’est le cas, nous nous retrouverons devant un corps enseignant émietté et une école sans unité.
Par ailleurs, on sait bien que les étudiants issus des milieux populaires se feront encore plus rares au niveau du mastère : les postes mis au concours seront davantage préemptés par les enfants des classes supérieures. Et si le vivier des mastères n’est pas suffisant, on utilisera l’expédient traditionnel : le recours à des contractuels et vacataires… Quant aux professeurs de lycées professionnels, ils sont, une fois de plus, les grands oubliés : quel mastère pour les professeurs de cuisine ou de génie mécanique ? Peut-être maintiendra-t-on quelques IUFM comme structures croupions pour gérer les laissés-pour-compte !
En réalité, le recrutement par concours cinq années après le baccalauréat interdit la mise en place d’une véritable formation en alternance. Au moment où cette dernière est plébiscitée dans de nombreux domaines, l’éducation nationale, toujours à la pointe du progrès, la supprime. Quelques modules de préprofessionnalisation au cours des études suffiront : réfléchir sur ses pratiques, alterner modèles théoriques et réflexion sur la prise de décision, inscrire l’entrée en fonction dans une dynamique professionnelle : voilà qui est bon pour les mécaniciens, les ingénieurs, les médecins… mais pas pour les professeurs ! Enfin, la disparition des IUFM, c’est celle d’un lieu institutionnel dévolu à la réflexion pédagogique, permettant l’élaboration, la diffusion et l’application de recherches nationales et internationales dans les didactiques des disciplines, les sciences de l’éducation, la psychologie et bien d’autres sciences humaines. C’est l’affirmation implicite que le métier d’enseignant n’a nul besoin d’être nourri par la recherche ni soutenu par des organismes de formation initiale et continue accompagnant les transformations sociales et permettant d’affronter les nouveaux problèmes qui émergent.
Pour autant, nous ne sommes pas partisans du statu quo. Le système actuel comporte une année de bachotage pour préparer le concours et une année d’alternance avant la titularisation. Or on a voulu tout caser dans cette deuxième année : connaissance des programmes, apprentissage de la gestion de la classe, didactique des disciplines, réflexion sur les valeurs de l’école, prise en compte de la difficulté scolaire, compréhension des enjeux de l’intégration des élèves handicapés, etc. Au bout du compte, cette année de stage est un patchwork, une course de vitesse avec une multitude de choses à faire qui se télescopent… et un grand écart, pour les stagiaires, entre un statut d’"enseignant responsable de sa classe" et un statut de "collégien" dans le cadre d’une formation théorique atomisée et bien trop scolaire.
Il faudrait donc organiser la formation en cinq années cohérentes : après trois années de licence, comportant une découverte progressive du métier, le concours de recrutement doit donner accès à deux années de formation professionnelle en alternance, correctement rétribuées et certifiées par un mastère professionnel… Avec une organisation des études permettant aux étudiants et aux stagiaires d’avoir prise sur leur formation et de ne pas se sentir infantilisés par des systèmes d’évaluation obsolètes.
Mais le ministre de l’éducation nationale semble vouloir passer en force cet été, en promulguant sa réforme en juillet. Un tel calendrier est déraisonnable sur le plan technique et inacceptable au regard des enjeux. La formation des enseignants nécessite une réflexion collective impliquant toutes les parties prenantes : le ministère de l’éducation nationale, les universités, les IUFM et les professionnels concernés, mais aussi les organisations étudiantes et même les parents d’élèves qu’on est en train de tromper gravement. Des voix nombreuses demandent un moratoire d’une année pour rendre possibles la concertation et la réflexion indispensables. Le président de la République et le ministre de l’éducation nationale doivent les entendre.
De Condorcet à Langevin et Wal
lon, de Carnot à Durkheim, en passant par Ferry, Buisson et Kergomard, la République a toujours considéré qu’il ne suffisait pas de savoir pour savoir enseigner et qu’elle devait à ses enfants des "maîtres pédagogues". Elle avait voulu qu’ils soient formés dans des lieux spécifiques : les Ecoles normales jusqu’en 1991, les IUFM ensuite. Une seule période fit exception, Vichy qui ferma les Ecoles normales d’instituteurs. Beaucoup d’entre nous considèrent qu’il serait exagéré de rapprocher cette période de celle que nous vivons. Ils croient que Xavier Darcos saura faire preuve d’esprit de responsabilité, qu’il aura à coeur de préserver le potentiel des IUFM pour le mettre au service d’une formation des maîtres digne des défis éducatifs qui se présentent à nous.
On ne peut prétendre lutter contre l’échec scolaire et saboter la formation des professeurs. On ne peut vouloir rétablir les conditions du "vivre ensemble" et "enseigner à tous les fondamentaux de la citoyenneté" en réduisant au minimum la formation pédagogique des maîtres. On ne peut préparer l’avenir en ignorant l’héritage du passé et les acteurs du présent ! Le risque est grand de payer nos errances d’aujourd’hui par des convulsions et des explosions scolaires incontrôlables. On voudrait que nos dirigeants l’entendent. Car, ils sont aussi, comme nous, responsables devant le futur.
Jean-Louis Auduc, directeur des études-premier degré à l’IUFM de Créteil ;
Rémi Brissiaud, maître de conférences à l’IUFM de Versailles ;
Sylvain Grandserre, professeur des écoles ;
Philippe Meirieu, professeur à l’université Lumière-Lyon-II ;
André Ouzoulias, professeur à l’IUFM de Versailles.