Le passage à un régime par points ou en comptes notionnels envisagé dans le dernier rapport du Conseil Orientation des Retraites (COR) constitue une petite arnaque. Il s’agit de s’attaquer à la répartition… sans le dire et en espérant que certains syndicalistes ou politiques marchent dans la combine.
Communiqué FSU, 27 janvier 2010
Le COR s’apprête à remettre au Parlement son rapport sur la faisabilité d’une réforme en profondeur de tous les régimes de base, faisant évoluer ceux-ci vers un régime en points ou en compte notionnels sur le modèle suédois.
Le rapport montre qu’il n’existe pas de réforme « miracle » pouvant régler à elle seule tous les problèmes, dont celui du financement. Si le COR convient que, techniquement, tout est possible, il rappelle également que les choix relatifs à l’architecture du système et aux objectifs que l’on souhaite atteindre sont d’abord des choix politiques.
Les régimes en annuités tels que nous les connaissons ont, malgré leur diversité, un objectif commun, parfaitement lisible: assurer un revenu de remplacement à la cessation d’activité en prenant en compte la diversité des carrières. La retraite est à la fois un élément du contrat salarial, un élément du pacte social entre les générations et au sein d’une même génération en opérant des redistributions.
Le passage à un régime par points ou en comptes notionnels aura pour principale conséquence d’individualiser les droits en faisant disparaître les références collectives à un âge de départ ou à une durée de cotisation, rendant le système dans son ensemble plus contributif. Le régime serait dégagé de toute obligation en matière de taux de remplacement et de niveau de vie des retraités, chaque individu étant renvoyé à sa responsabilité individuelle pour construire sa retraite. Or les choix individuels sont contraints par des situations inégales d’emploi, de pénibilité du travail et de revenus, ce qui conduit à accroître les inégalités de retraites.
Le rapport du COR souligne la complexité des règles actuelles qui nuit à la confiance que les Français, et parmi eux les plus jeunes générations, accordent à notre système de retraite. Mais, sur ce point, le rapport omet la responsabilité des dernières réformes dans cette opacité et dans cette perte de confiance.
L’objectif de rendre le système plus lisible avec une réforme systémique n’est pas clairement démontré à travers les travaux du COR. La phase de transition d’un système à l’autre peut s’avérer extrêmement complexe pour les salariés concernés. Par ailleurs, les simulations montrent que des règles en apparence identiques peuvent avoir des effets variés et complexes dès qu’on les applique à des situations inégales.
L’esquive du débat démocratique que permettrait l’ajustement mécanique des prestations servies ne peut conduire qu’à une baisse du niveau des pensions et écarterait la question essentielle du financement. L’exemple de la Suède qui a du débrancher le pilote automatique en raison de la crise pour ne pas provoquer une baisse importante des retraites en 2010 montre la nécessité d’un pilotage politique.
Le dernier rapport du COR rappelle que l’équilibre financier repose, quel que soit le système, sur trois grands leviers : le niveau des ressources, le niveau des pensions et l’âge moyen effectif de départ à la retraite. Le problème ne tient pas à l’architecture du système lui-même. Ce qu’on observe en Europe, c’est que, quelque soit cette architecture, les réformes conduisent, avec une incitation forte à l’épargne, à une baisse du niveau des pensions publiques. Par exemple, la baisse du taux de remplacement suite aux réformes entreprises est équivalente en France et en Suède. C’est ce mouvement de baisse des pensions qu’il faut d’abord arrêter.
Si on veut maintenir le niveau de vie des retraités, il faut nécessairement accroître les moyens de financement des régimes de retraite. Les débats sur la réforme systémique et sur le report de l’âge de départ en retraite occultent cette réalité et font le choix de la baisse des pensions, sans oser assumer politiquement ce choix vis à vis de l’opinion.
La FSU est porteuse de propositions pour une réforme juste et solidaire. Son congrès réuni la semaine prochaine sera l’occasion de les exprimer.
Une retraite par points ambiguë
Pierre Conc
ialdi chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires)
Un système par points, quel que soit son mode de financement, tend à mimer le fonctionnement d’un système de retraites par capitalisation.
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 prévoit que le Conseil d’orientation des retraites (COR) doit élaborer avant février 2010 un rapport sur "les modalités techniques de remplacement du calcul actuel des pensions (…), soit par un régime par points, soit par un régime de comptes notionnels fonctionnant l’un comme l’autre par répartition". Rappelons qu’un système par points attribue des droits à pension mais ne fixe pas le niveau des pensions, qui dépend de la valeur des points, laquelle n’est pas donnée a priori. Un tel système joue sur la distribution des pensions au sein d’une même génération mais ne résout pas la question du financement des retraites. La question du niveau des transferts entre actifs et retraités reste donc posée, comme le sont aussi d’autres questions primordiales qui risquent d’être occultées par une réforme d’apparence technique.
Fondamentalement, ce qui légitime le versement d’une pension, c’est le travail passé et une certaine condition d’âge. Avec un système par points, on tend à effacer ces deux critères, comme risque de disparaître l’objectif du système actuel d’annuités basé sur un taux de remplacement cible. Ainsi, on considère souvent que le volume des points devrait dépendre uniquement du montant des cotisations versées. Cependant, la référence aux cotisations ne constitue qu’une modalité parmi bien d’autres de prise en compte du travail passé. Le nombre de points pourrait par exemple être proportionnel à la durée du travail; il pourrait aussi prendre en compte des formes de travail socialement utiles mais non rémunérées (éducation des enfants, formation professionnelle, prise en charge des ascendants ou des descendants…). Ces questions se posent déjà dans un système par annuités; elles resteraient sur la table avec un système par points.
La question des frontières d’âge est aussi tout à fait importante. Par définition, un système d’annuités doit faire référence à une durée pivot. Ce n’est pas nécessairement le cas avec un système par points. Un tel système ne fait pas, à lui seul, sauter les repères d’âge, mais il permet beaucoup plus facilement de les affaiblir.
En définitive, un système par points, quel que soit son mode de financement, tend à mimer le fonctionnement d’un système de retraites par capitalisation. Il contribue ainsi à valider l’idée que la retraite ne pourrait être qu’une forme d’épargne, ce que dément l’expérience des systèmes de retraites par répartition. Bref, avec un système par points, on risque d’occulter des questions qui sont fondamentalement de nature politique. Espérons que le COR saura éviter cette dérive.
Rapport du Conseil d’orientation des retraites : les retraites mises au régime
Attac France, Montreuil, le 28 janvier 2010
L’orchestration de la propagande en faveur d’une nouvelle réforme des retraites a accéléré son tempo. Après les exigences exprimées par le Medef tout au long de l’année 2009 pour reculer l’âge de la retraite et la certitude affichée par le gouvernement d’y procéder, le Conseil d’orientation des retraites a remis au Parlement son rapport qui étudie le passage d’un système par répartition par annuités à un système par points ou par comptes notionnels.
Le résultat des réformes de 1993, 2003 et 2007 est désastreux : l’allongement de la durée de cotisation à 40 et bientôt 41 ans, le calcul de la retraite sur les 25 meilleures années au lieu des 10 pour les salariés du privé et l’indexation sur les prix et non plus sur les salaires et la productivité ont conduit à une baisse des pensions de 15 à 20 %. Cela n’empêche pas l’aggravation des déficits des caisses de retraite, essentiellement due à la crise, et les entreprises continuent d’évincer les salariés avant qu’ils aient acquis la totalité de leurs droits.
Le COR examine les effets des trois leviers disponibles pour piloter l’équilibre du système de retraite. Il note que « l’effet positif d’une hausse du taux de cotisation sur le solde du régime est immédiat et durable » et c’est le seul levier pour lequel les effets sont si positifs. Pourtant, l’augmentation du taux de cotisation est absente des solutions et le gouvernement s’apprête à utiliser une fois de plus un seul levier, celui de l’allongement de la vie active, soit en reculant l’âge légal du départ à la retraite, soit en allongeant encore la durée de cotisations, dont les conséquences seraient pires que celles des précédentes réformes, compte tenu de l’aggravation des conditions de travail et de la précarité accrue. En focalisant sur l’emploi des seniors, il ne favorise pas la lutte contre le chômage des jeunes, ni le taux d’emploi des femmes. Et il ignore le fait que la descendance finale des femmes est à un niveau suffisant pour renouveler les générations.
Le COR imagine alors ce que donnerait un changement complet de système.
Disons-le nettement : ce serait une catastrophe. Que ce soit par points ou par comptes notionnels, il s’agirait de se débarrasser de la contrainte d’avoir à assurer un taux de remplacement minimal du salaire. Cet objectif serait atteint dans un système par points en jouant sur la diminution de la valeur du point, et, dans un système par comptes notionnels, en neutralisant l’effet de l’âge de départ à la retraite puisque la somme perçue par le retraité pendant tout son temps de retraite serait répartie en fonction de l’espérance de vie de sa génération. Dans les deux cas, la plupart des salariés, et surtout les salariés pauvres et effectuant les travaux pénibles, seraient obligés de travailler toujours plus longtemps.
Le résultat serait sans appel : le COR estime à 15 % la nouvelle baisse des pensions à prévoir. De plus, le COR reconnaît qu’un système notionnel, censé s’équilibrer automatiquement, n’y parvient pas car les incertitudes tenant aux évolutions économique et démographique, qui sont le propre de tout système de retraites, ne sont pas atténuées. En revanche, un système par points ou par comptes notionnels qui serait accompagné d’une diminution des droits non contributifs tendrait à aligner le système par répartition, vidé ainsi de son contenu, sur un régime d’épargne individuelle. Il ne resterait plus qu’à reprendre une campagne de publicité pour promouvoir des fonds de pension aujourd’hui défaillants.
La question des retraites ne sera pas résolue tant qu’on ne s’attaquera pas à la racine du problème : la répartition fondamentale entre revenus du travail (retraites incluses) et revenus du capital, qui est elle-même liée à l’emploi et à la durée du travail. Tant que le tabou de ne pas accroître les cotisations patronales, soit en augmentant le taux, soit en élargissant l’assiette, dominera, rien ne sera possible hormis l’aggravation de la pauvreté, des inégalités et des discriminations envers les femmes.
Attac, qui a joué un rôle important en 2003 pour décrypter les mensonges et les bêtises entourant la question des retraites, s’engagera résolument au côté de ceux qui prendront le parti de la solidarité et qui refuseront celui de l’accaparement des richesses par une minorité.
le dossier de presse (synthèse 24 pages)
le rapport intégral (260 pages)