L’identité nationale ne se codifie pas. Encore moins par le biais d’un sondage à vocation électoraliste. Concis mais percutant, c’est le commentaire des historiens regroupés dans le comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire.
Créé, en 2005 en réaction à la loi voté "exigeant des enseignants qu’ils insistent sur « le rôle positif de la colonisation", ce collectif a produit nombre d’analyses lors de la création en 2007 du ministère de l’immigration et de l’identité nationale".
Nous ne pouvons qu’encourager à consulter et à populariser le site du CVUH.
Le devoir de vigilance impose aussi (et surtout) aux enseignants (et pas seulement d’histoire) d’opérer un retour critique sur l’historiographie officielle véhiculée depuis le début de la 3ème République. De Chévènement en 1985 aux nouveaux programmes de Darcos, ce sont toujours les mêmes dérives qui traversent les manuels.
Le nationalisme de la 3ème république et le racisme qui en découla a produit les pires horreurs avec deux guerres.
Oser faire des préfectures dont une des activités essentielles consiste à expulser les étrangers sans papiers le nouveau lieu de l’éducation civique, demander aux préfets, représentants de l’Etat de se transformer en porte parole d’une histoire officielle ouvrent des portes dangereuses.
De la lecture de la lettre de Guy Mocquet au débat sur l’identité nationale, c’est une même entreprise qui vise à instaurer une mémoire officielle et à réinventer l’histoire.
L’école dans ce projet politique est une pièce essentielle. La refonte des programmes, et le nouveau rôle qu’on voudrait lui faire jouer avec l’apprentissage des symboles que sont le drapeau, la Marseillaise et Marianne ou "des grands personnages" indiquent une double visée, restaurer l’unité nationale et l’ordre social.
Les pressions hiérarchiques ne manqueront certainement pas, particulièrement de la part de ceux et celles qui sont toujours pressés de porter la pensée politique officielle. Nous ne pourrons que leur conseiller quelques ouvrages.
La Fabrique scolaire de l’histoire (septembre 2009)
Sous la direction de Laurence De Cock & Emmanuelle Picard
Depuis la Révolution française, l’enseignement de l’histoire est associé à la construction d’une « identité nationale ». En prenant la forme d’un récit ethnocentré, l’histoire scolaire devait permettre l’intégration de tous les futurs citoyens de la République, quelles que soient leurs identités originelles, dans un ensemble politique unique.
Aujourd’hui, alors que la période est favorable à la reconnaissance des « identités plurielles », les exclus du roman national réclament l’ajustement des programmes scolaires et critiquent la fabrique scolaire de l’histoire vue comme un instrument de domination.
Le moment est propice pour interroger la manière dont l’histoire scolaire est fabriquée. De fait, l’enseignement de histoire à l’école est le produit d’une chaîne de responsabilités dont il nous faut interroger chacun des maillons : pourquoi et comment apprendre l’histoire, et quelle histoire ? Car c’est une politique du passé qui s’exprime à travers ce montage. Une politique où la question d’une histoire commune et donc de l’universalité est en jeu.
Et deux ouvrages de Suzanne Citron
Le mythe national, l’histoire de France revisitée nouvelle édition 2008
L’identité nationale fait l’objet de vives controverses. Sur quelle vision de l’histoire doit-elle reposer ? Celle d’une France gauloise, continuée par les rois, accomplie définitivement avec la République ? Ou celle d’une France métissée, faite de diversités culturelles et ethniques, ouverte sur l’avenir ?. Pour repenser l’histoire de France, il faut d’abord décortiquer, à travers les anciens manuels scolaires, le schéma du " roman national " de la Troisième République. Ce récit linéaire et continu d’une France pré-incarnée dans la Gaule légitime, en occultant victimes et vaincus, les pouvoirs et les conquêtes qui ont non seulement créé la France, mais encore la " plus grande France ", c’est-à-dire un empire colonial. Les recherches portant sur l’histoire de Vichy, de la colonisation, de l’immigration, de la guerre d’Algérie, tout comme les débats autour des lois mémorielles ont provoqué d’incontestables avancées. Mais ont-ils vraiment révisé le mythe hérité de l’avant-dernier siècle, ou n’en ont-ils égratigné que quelques pans ?. Cette nouvelle édition du Mythe national s’attache, en s’appuyant sur la rigueur du travail historique, à revisiter le passé pour donner sens à une France aux multiples racines, membre de l’Union européenne, morceau de la planète et segment de l’histoire humaine
L’histoire de France autrement (1992)
Suzanne Citron est acide : elle n’apprécie pas que certains utilisent l’histoire de façon nationaliste. La Gaule, par exemple, n’existait pas : c’est le nom que César a donné à des tribus celtes qui s’ignoraient ou se querellaient. Charles Martel : il n’a pas vaincu " les Arabes ", mais le gouverneur d’Espagne (musulman) venu châtier le seigneur d’Aquitaine, allié à (et beau-père de) l’un de ses ennemis, également musulman. Et Charles profite de sa victoire pour piller quelques évêchés… Le royaume de France est né au XIIIème siècle par les conquêtes, les annexions et les mariages, bien plus que par un sentiment national, somme toute fort récent. La France est issue d’une mosaïque de peuples et si la République exalte le sentiment national – coloré parfois d’antisémitisme -, c’est souvent pour masquer les fractures sociales. C’est parfois un peu excessif, mais tellement roboratif !
Nous pourrons aussi rappeler que pour marquer leur résistance au sinistre ministère de l’immigration et de l’identité nationale, 8 historiens ont démissionné de leur responsabilité à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI)
Un amalgame inacceptable !
LE MONDE | 21.05.07
Depuis 2003, nous avons participé au projet de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI). Cette cité, qui doit ouvrir ses portes en cette année 2007, a été voulue comme un nouveau lieu de l’histoire de France, au lendemain de l’élection présidentielle de 2002, à l’occasion de laquelle les Français avaient signifié leur refus de la tentation xénophobe.
Ce lieu entend changer le regard de nos contemporains sur leur société en rappelant comment, depuis deux siècles, les étrangers, venus par vagues successives, ont contribué à développer, à transformer et à enrichir la France. Rendre compte de la diversité des histoires et des mémoires individuelles et collectives, en faire l’histoire de tous, avec ses moments glorieux et ses zones d’ombre, aider ainsi au dépassement des préjugés et des stéréotypes, tels sont les enjeux qui nous ont mobilisés autour de ce projet.
L’instauration d’un "ministère de l’immigration et de l’identité nationale" remet en cause ces objectifs. Les mots sont pour le politique des symboles et des armes. Or il n’est pas dans le rôle d’un Etat démocratique de définir l’identité. Associer "immigration" et "identité nationale" dans un ministère n’a jamais eu de précédent dans notre République : c’est, par un acte fondateur de cette présidence, inscrire l’immigration comme "problème" pour la France et les Français dans leur être même.
Ce rapprochement s’inscrit dans la trame d’un discours stigmatisant l’immigration et dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la méfiance et l’hostilité aux étrangers, dans les moments de crise. Là où le pari de la CNHI était celui du rassemblement tourné vers l’avenir, autour d’une histoire commune que tous étaient susceptibles de s’approprier, ce ministère menace au contraire d’installer la division et une polarisation dont l’histoire a montré les ravages.
Voilà pourquoi nous démissionnons à compter de ce jour de nos fonctions officielles à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Nous tenons cependant à saluer le remarquable travail effectué depuis plus de trois ans par Jacques Toubon et toute son équipe. Nous avons pu y être associés dans un esprit de liberté intellectuelle et d’indépendance. Nous continuerons de soutenir ce projet tant que son esprit perdurera.
Marie-Claude Blanc-Chaléard, historienne ;
Geneviève Dreyfus-Armand ;
Nancy L. Green, historienne ;
Gérard Noiriel, historien ;
Patrick Simon, démographe ;
Vincent Viet, historien ;
Marie-Christine Volovitch-Tavarès ;
Patrick Weil, historien.
Et pourfinir leur rappeler l’article 4 de la constitution de 1793, qui n’est pas dans le manuel d’histoire sarkozien :
Article 4. – Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français.