Ce texte publié sur le site de la Fondation Copernic reproduit le cours du département de sociologie de Paris VIII Vincennes- Saint Denis, effectué le vendredi 20 février 2009, devant l’ENA. Dans cette première partie (laissée sous forme de cours) sont restituées toutes ces inégalités sociales à l’école et à l’université, auxquelles les réformes Pécresse ne s’attaquent pas, et qu’elles renforcent même.

Les inégalités sociales dans l’école par le département de sociologie de Paris VIII

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Bienvenue au cours hors les murs du département de sociologie de Paris VIII relatif aux inégalités sociales dans l’enseignement supérieur. C’est donc dans le cadre du mouvement de grève actuel des universités françaises contre la réforme du statut des enseignants chercheurs, la mastérisation des concours de recrutement des enseignants et les réductions de postes dans l’enseignement supérieur et la recherche, que nous avons choisi de faire ce cours. Alors pourquoi avoir choisi l’Ecole nationale d’administration pour cible ?

Déjà parce que cette école – qui historiquement devait contribuer à « démocratiser l’accès à la haute fonction publique » – est sans doute une des moins démocratiques qui soit. En effet, et à l’inverse des souhaits exprimés en 1945 par son fondateur le Général de Gaulle, elle est devenue un des hauts lieux de la production, comme de la reproduction, de ce qu’en 1989, soit lors du bicentenaire de la Révolution française et avec un brin de provocation, Pierre Bourdieu appellera « la noblesse d’Etat ».

C’est donc ici que dans le cadre de promotions annuelles comprenant un peu moins d’une centaine d’élèves scolairement et socialement triés sur le volet et dont la liste – excusez du peu – est publiée annuellement au Journal officiel de la République française, qu’on fabrique ces hauts fonctionnaires, qui peupleront ensuite la haute administration française du public, comme du privé, les cabinets ministériels, ainsi que les états major politiques de droite, comme ceux du parti socialiste. Et aujourd’hui nombre de ces anciens élèves, frottés aux recettes du nouveau management public, se font les promoteurs zélés des réformes en cours d’inspiration néolibérale. Et démolissent consciencieusement en le réformant déjà, pour le vendre ensuite en bloc ou en parties au marché, ce que d’autres fonctionnaires, soucieux du service public et d’égalité entre les citoyens, avaient construit avant eux, avec l’appui notamment des forces progressistes de l’époque. Parmi ces anciens élèves de l’ENA, on rencontre notamment une certaine Valérie Pécresse…

Mais une autre raison nous a aussi conduit en ce lieu. C’est que l’ENA représente sans doute une des antithèses les plus parfaites qui soit de notre établissement d’origine, en l’occurrence l’université de Paris VIII Vincennes-Saint Denis. En effet, l’université de Vincennes a été créée en 1968 afin de répondre aux étudiants, qui critiquaient notamment l’élitisme et le caractère de classe de l’université traditionnelle. Et c’est parce qu’elle poursuivait un objectif de démocratisation de l’accès aux études supérieures, comme à la culture universitaire en général, que dès l’origine Vincennes s’ouvrira très largement aux étudiants salariés, comme au non bacheliers. Ainsi en 1976/77, Vincennes comptait 39% d’étudiants non bacheliers et 43% d’étudiants salariés à temps plein. En fait pour nombre de ses étudiants, Vincennes représentait l’université de la seconde chance. La seule qui, – par sa très large ouverture-, leur offrait la possibilité de s’arracher à leur destin social. Bref, tout le contraire de ces serres chaudes au recrutement ultra sélectif et élitiste que sont devenues les grandes écoles françaises.

Par la suite, Vincennes sera autoritairement délocalisée à St Denis, soit dans le 93. Et là, elle contribuera à partir de la fin des années 1980 à ce qu’on appelle la seconde massification de l’enseignement supérieur, en s’ouvrant cette fois largement aux étudiants d’origine populaire, et plus spécialement aux enfants d’immigrés, particulièrement nombreux dans ce département. Et c’est ce qui explique par exemple que notre public, à la différence de celui des grandes écoles, soit si coloré. En fait, on peut difficilement imaginer deux établissements aussi contrastés, tant au plan de leur histoire, degré d’ouverture, public, que de leurs fonctions sociales et professionnelles, que l’ENA et Paris VIII. D’où l’intérêt de ce rapprochement qui -par les contrastes violents qu’il permet d’observer – met en relief le dualisme, ainsi que le caractère profondément inégalitaire du système d’enseignement supérieur français.

Dans le cadre de ce cours, nous transmettrons donc quelques éléments permettant de mieux comprendre la genèse sociale, scolaire ces inégalités. L’exposé sera en trois temps. Tout d’abord, nous parlerons des inégalités dans l’enseignement secondaire. Ensuite, nous nous concentrerons sur l’enseignement supérieur. Enfin et pour conclure, nous nous intéresserons au cas de Valérie Pécresse dont la trajectoire sociale, scolaire est sociologiquement si édifiante, qu’elle explique sans doute en partie le type de réforme qu’elle veut nous imposer.

Une genèse précoce des inégalités

Alors pourquoi commencer ce cours en parlant de l’enseignement secondaire ? Tout simplement parce que les inégalités sociales observées dans le supérieur s’originent pour une bonne part dans secondaire, et même dans le primaire. Si l’on s’en tient au collège, on voit par
exemple que les enfants d’ouvriers, employés et non actifs représentent 84% des élèves en difficultés rassemblés dans les classes dites SEGPA (c’est-à-dire les sections d’enseignement général et professionnel adaptées), alors qu’ils forment la moitié des élèves suivant un enseignement général. Inversement les enfants d’enseignants, comme de cadres supérieurs, sont dix fois moins représentés parmi les élèves en difficultés que leur part dans l’enseignement général.

Ainsi dès le collège -mais la remarque serait valable aussi dès le primaire – la grande machine trieuse nommée Education nationale fonctionne à plein régime. Ce qui s’objective par exemple dans les taux d’accès au Baccalauréat des enfants issus des différentes catégories socioprofessionnelles. Alors ici, et afin d’illustrer ce propos, nous commenterons quelques résultats issus du Panel 1989. Qu’est ce que le Panel 1989 ? C’est un panel constitué d’élèves scolari
sés pour la première fois en 6ème, ou en SES-SEGPA, à la rentrée scolaire 1989-1990 dans un établissement public, ou privé, de France métropolitaine. Ce panel comprend 24.710 élèves et permet de suivre leur trajectoire scolaire jusqu’en 2003.

Nous commenterons un tableau fort éclairant issu de cette enquête par panel et reproduit par le sénateur Jacques Legendre dans son rapport d’information relatif au Baccalauréat. Il s’agit du tableau n°1 intitulé « Niveau scolaire atteint par les élèves selon l’origine sociale ». Ce tableau croise deux variables : le niveau scolaire le plus élevé atteint par ces élèves au terme de leur scolarité, et la profession du parent responsable de l’enfant. Les pourcentages sont en ligne. Si on lit par exemple la première de ces lignes, celle relative aux enfants d’enseignants, on observe que 12,8% d’entre eux sont finalement sortis du système scolaire avec un diplôme inférieur au Baccalauréat, ou sans diplôme du tout, que 3,5% ont eu le Baccalauréat mais se sont arrêtés d’étudier, etc. La somme de tous ces % faisant 100%.

Alors avant de rentrer plus avant dans le tableau et de comparer les performances scolaires des enfants issus des différentes catégories socioprofessionnelles, nous souhaitons attirer votre attention sur un détail de construction. En effet dans la première colonne du tableau, les différentes catégories socioprofessionnelles ne sont pas classées au hasard, ou en respectant la nomenclature habituelle de l’INSEE. Globalement, on va des professions les plus diplômées aux moins diplômées. En l’occurrence ici, des enseignants aux ouvriers non qualifiés. Dit autrement, ces professions sont à peu près classées en fonction de leur volume de capital scolaire et culturel.

Maintenant que ce point relatif aux modalités de construction du tableau est éclairci, entrons dans le tableau. Déjà en comparant le taux d’enfants de chaque CSP sortis du système scolaire avec un diplôme inférieur au Baccalauréat, ou sans diplôme. Et là, le contraste est saisissant. Ainsi, les enfants d’ouvriers non qualifiés ou d’inactifs, sont majoritairement sortis sans le Baccalauréat, ou sans aucun diplôme (58,9%). Et ces enfants sont quatre fois plus souvent sortis sans le Baccalauréat ou sans diplôme, que les enfants d’enseignants (12,8%). Ce sont là les deux valeurs extrêmes. Mais si vous comparez ensuite la réussite scolaire des enfants des autres CSP, vous verrez que globalement, elle tend à augmenter avec le capital scolaire et culturel de leurs parents. C’est-à-dire que plus les parents sont dotés scolairement et culturellement, et plus leurs enfants font des études longues.

Nous n’avons pas vraiment le temps d’étudier de manière approfondie chaque colonne de ce tableau. C’est pourquoi nous vous proposons d’aller directement à l’avant dernière colonne, celle relative aux sorties avec un diplôme égal ou supérieur à Baccalauréat plus 3. Elle offre une confirmation éclatante de la distribution observée précédemment. C’est-à-dire que ce sont les enfants dont les parents sont scolairement et culturellement les plus dotés, qui font les études les plus longues. Cette fois, l’écart va de 1 à 6 quand on compare les enfants d’enseignants à ceux d’ouvriers non qualifiés ou d’inactifs. Sachant qu’ici encore, on observe tout un continuum dans les performances académiques des élèves.

Pour expliquer ces différences de réussite scolaire selon le milieu social, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans un ouvrage fameux intitulé Les héritiers, les étudiants et la culture paru pour la première fois en 1964 aux éditions de Minuit, et qui portait donc plus spécialement sur les étudiants, forgeront le concept d’héritage culturel, puis de capital scolaire et culturel. L’héritage culturel, c’est tout un capital de savoirs, mais aussi de savoir faire, savoir dire, que les enfants des classes favorisées doivent à leur milieu familial et qui leur assure d’emblée une plus grande proximité au système scolaire, et à ses exigences, attentes tant implicites, qu’explicites. Et c’est par exemple parce que le français parlé à la maison, les sujets de conversation, les pratiques culturelles, de lecture, etc., sont plus en affinités avec ce qui est attendu par l’école, mais aussi parce que leurs parents connaissent mieux le système scolaire et ses subtilités, notamment pour y avoir fait des études longues, ou tout simplement parce qu’ils y travaillent, que ces enfants réussissent mieux que les autres, et par exemple connaissent mieux ses hiérarchies, ont un sens du placement scolaire plus affiné, évitent mieux -à performance scolaire égale – d’être précocement « orientés », etc.

La réussite scolaire n’est donc pas une affaire de don, comme pourrait le croire le sens commun quand par exemple il parle de la « bosse des maths », mais elle dépend pour une large part du milieu socioculturel des enfants. En fait l’idéologie du don expliquent Bourdieu et Passeron, sert à naturaliser, et donc à masquer, les différences sociales. Elle remplit des fonctions politiques évidentes. Depuis les années 1960, d’autres chercheurs ont mis en évidence ces inégalités de performances scolaires selon l’origine sociale dans la plupart des pays développés. Et même aux Etats-Unis, qu’on présente pourtant souvent comme un pays où les barrières sociales, scolaires, sont censées être moins fortes qu’ailleurs.

Tous les enfants n’arrivent donc pas au niveau du Baccalauréat. Ainsi en 2007 par exemple, la proportion de bacheliers dans une génération s’élève à 64,2%. On est loin des 80% annoncés à la fin des années 1980 par le gouvernement Jospin. Ce qui signifie que lorsqu’on étudie les bacheliers d’une année et donc la population susceptible d’entrer ensuite dans le supérieur, on s’intéresse à une population de survivants. Non seulement tous les enfants n’arrivent pas au niveau du Baccalauréat, mais quand ils y arrivent, c’est pour obtenir des Baccalauréats très différents et fortement hiérarchisés entre eux. Ainsi, et à la faveur des massifications successives de l’enseignement secondaire, le Baccalauréat s’est diversifié. Si dans les années 1960 il n’y avait pratiquement que des Baccalauréats généraux, les choses ont bien changé depuis. En 2007 sur 100 bacheliers, on compte 54 généralistes, 26 technologiques et 20 professionnels, sachant que la part des Baccalauréats professionnels augmente rapidement ces dernières années.

Le Baccalauréat s’est donc considérablement diversifié. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il serait int&#233
;ressant d’étudier la composition sociale des différents Baccalauréats. D’autant plus que le type de Baccalauréat possédé, l’âge auquel il est obtenu, la mention, le lieu d’obtention, etc., jouent un rôle décisif dans l’orientation des bacheliers dans le supérieur. En effet, vous connaissez sans doute tous ces publications destinées aux lycéens intitulées :Que faire avec un bac S, L , SMS ?, etc. Ainsi, à chaque type de Baccalauréat est associée une gamme de destinations scolaires, et partant professionnelles, généralement bien connue des élèves. On pourrait ici parler d’un processus d’intériorisation subjective des structures scolaires, sociales objectives et qui fait qu’au sortir du Baccalauréat, la grande majorité des élèves distinguent généralement ce qui est « pour eux », de ce qui n’est « pas pour eux ». Ils connaissent donc l’espace des possibles académiques qui leurs sont encore ouverts, ce à quoi ils peuvent raisonnablement prétendre ou non. Par exemple, nous n’avons que très rarement rencontré dans nos cours de sociologie de première année des étudiants ayant tenté avant de faire médecine, ou une école d’ingénieur. De même, on peut penser que rares sont les élèves de l’ENA ayant, au sortir du Baccalauréat, hésité avec Paris VIII et son département sociologie… Certaines enquêtes montrent aussi qu’à capital scolaire égal, le niveau d’ambition scolaire, et partant professionnel, varie en fonction de l’origine sociale, du sexe, etc. Le phénomène a par exemple été étudié très finement concernant l’accès aux classes préparatoires. Ainsi, les femmes se détournent plus fréquemment des filières les plus prestigieuses conduisant aux fonctions de pouvoir les plus élevés. L’opération de tri, la sélection scolaire décrite précédemment conduit donc les élèves à s’autosélectionner.

En 1998 et parmi les nouveaux bacheliers scientifiques, on comptait 41,4% d’enfants de cadres supérieurs, professions libérales. Et le pourcentage d’hommes s’élevait à 56,8% parmi ces nouveaux bacheliers scientifiques.

Afin d’étudier la composition sociale des différents Baccalauréats, examinons maintenant l’origine socioprofessionnelle et le sexe des nouveaux bacheliers de l’année 1998.

Alors qu’observe-t-on ? Et bien que le taux d’enfants de cadres qui inclut cette fois les enfants d’enseignants est maximal dans les Baccalauréats généraux, et plus encore dans le Baccalauréat S, souvent présenté comme le bac le plus « noble », et minimal dans les Baccalauréats technologiques et professionnels. Fait remarquable, le taux d’enfants d’ouvriers, mais aussi de retraités et inactifs, évolue strictement en sens inverse. Un peu comme si une population chassait l’autre…

Dernière remarque concernant ce tableau. Nous avons mentionné le % d’hommes pour chaque Baccalauréat. Et l’on note que le Baccalauréat S est majoritairement masculin. En fait, et comme vous le savez sans doute, aujourd’hui les filles réussissent mieux à l’école que les garçons. C’est-à-dire qu’il y a plus de bachelières que de bacheliers, plus d’étudiantes que d’étudiants. Mais malgré cette féminisation globale des études, on observe que les hommes restent majoritaires dans les secteurs, les segments les plus légitimes de l’institution scolaire et qui conduisent notamment aux professions, fonctions les plus prestigieuses et lucratives, par exemple dans les classes préparatoires scientifiques. Mais c’est aussi le cas à l’ENA, où la
promotion 2006-2008 par exemple comptait 56,6% d’hommes. Inversement à Paris VIII en 2004/2005, on n’en comptait que 38%. En fait dans ce cours, nous parlerons surtout des inégalités en fonction de l’origine sociale. Mais il serait possible d’en développer bien d’autres. Par exemple en fonction du revenus des parents (les études longues coûtent chers, et plus encore dans le privé…), du sexe, des origines culturelles, de la couleur de peau, etc

Un enseignement supérieur qui prolonge et amplifie les inégalités préexistantes

Nous en arrivons maintenant à la deuxième partie du cours, celle relative aux inégalités sociales dans l’enseignement supérieur. Et de fait, vous aurez sans doute compris que ces inégalités résultent – pour une bonne part – d’inégalités antérieures socialement construites, que le système scolaire tend donc à légitimer, ratifier au travers des mécanismes d’orientation, comme de distribution des titres scolaires, et qui se prolongent ensuite en se raffinant considérablement dans l’enseignement supérieur.

Afin d’étudier cette question, passons à l’analyse du dernier tableau intitulé « L’origine socioprofessionnelle des étudiants français dans les principales filières de l’enseignement supérieur en 2002-2003 ». Il est construit sur le même modèle que les précédents. Les catégories socioprofessionnelles sont classées en fonction de leur capital scolaire et culturel et les différentes filières de l’enseignement en fonction, grosso modo, de leur prestige. Ici encore, les % sont en colonne. Au passage soulignons l’intérêt qu’il y a, quand un construit un tableau, d’opérer un classement judicieux de ses différentes lignes, colonnes. En effet, c’est ce classement qui rendra le tableau lisible, ou « parlant ». Et donc qui permettra au sociologue de mettre en évidence les logiques, les structures immanentes au monde social.

Au sommet donc, on trouve les classes préparatoires aux grandes écoles dans lesquelles le taux d’enfants de cadres est maximal et le taux d’enfants d’ouvriers minimal. Ce qui s’explique notamment par l’orientation des différents bacheliers. Ainsi en 2002-2003, 72,2% des « primo arrivants » en classes préparatoires provenaient d’une Terminale S, tandis que les « primo arrivants » en STS comptaient 55,7% de Baccalauréats technologiques et 9% de Baccalauréats professionnels.

En fait les « nouveaux étudiants », ou ceux que Stéphane Beaud appelle les « enfants de la démocratisation », notamment issus de la politique des 80% d’une classe d’âge au Baccalauréat, se sont pour l’essentiel retrouvés dans les STS, IUT, disciplines de lettres et sciences humaines, etc. qui se sont largement ouverts à eux, tandis que les classes préparatoires ou la médecine en comptent fort peu. L’arrivée de ces nouveaux étudiants s’est donc accompagnée d’un renforcement des hiérarchies entre établissements, comme entre disciplines. La part des étudiants d’origine favorisée a augmenté dans les classes préparatoires entre 19
85 et 1995, soit lors de la seconde massification universitaire, alors que, dans le même temps, elle régressait à l’université. Par ailleurs on sait que ces « nouveaux étudiants », plus souvent titulaires d’un Baccalauréat technologique ou professionnel et plus souvent d’origine populaire, sont les premières victimes de la sélection à l’université. Ce qui explique que l’origine sociale des étudiants s’élève à mesure qu’on monte dans le cursus. La part des jeunes dont les parents sont cadres supérieurs, ou exercent une profession libérale, en premier cycle ou en IUT est de 30% et passe à 37% en troisième cycle. En revanche, les enfants d’ouvriers qui forment 13% des étudiants inscrits à l’université les deux premières années d’études, ne sont que 5% en troisième cycle.

Les classes préparatoires, qui comptent donc un taux maximal d’héritiers, ouvrent l’accès aux grandes écoles, spécialité bien française s’il en est. En effet, notre enseignement supérieur se distingue de celui des autres pays européens par un dualisme séculaire opposant universités et grandes écoles. Et la réforme du LMD, – qui visait pourtant à l’harmonisation européenne des cursus – s’est bien gardée de bouleverser cet héritage historique, expression fidèle des divisions et des hiérarchies les plus profondes du monde social. Car alors, il y allait de la reproduction des élites nationales, lesquelles se recrutent toujours en vase clos et ont finalement assez peu recours à l’université. Ce qui explique sans doute leur méconnaissance profonde du monde universitaire, comme leur méfiance à son égard. Ainsi, le taux d’enfants de cadres supérieurs ou professions libérales s’élève à 77,7% à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, 77% à l’école Polytechnique pour culminer à 81,5% à l’IEP de Paris. Institut dont on comprend alors mieux pourquoi – soucieux de soigner son image de marque tantsociale que politique – il accueille à grand bruit quelques « étudiants pauvres » en son sein.

Enfin concernant l’ENA, l’ouvrage d’Alain Garrigou, Les élites contre la République, sciences po et l’ENA, nous apprend qu’au concours de recrutement externe de l’ENA, le pourcentage d’élèves enfants de cadres supérieurs/professions libérales s’élève à 79,5%.

Vers toujours plus d’inégalité dans l’enseignement supérieur ?

Le système d’enseignement supérieur français est donc déjà très fortement inégalitaire et hiérarchisé. Et ici, nous n’avons pas encore évoqué le coût de chaque étudiant. En effet, on sait qu’un élève de classes préparatoires coûte deux fois plus cher à la collectivité qu’un étudiant d’université. Et les écarts seraient beaucoup plus importants si ensuite, on prenait la peine de différencier les étudiants des différentes facultés. Mais manifestement, le ministère n’ose pas publier ce type de données. Car on verrait alors que les dépenses consenties par la collectivité pour les étudiants en médecine, ou sciences, sont nettement plus élevées que celles
consenties pour les étudiants en lettres, droit et sciences économiques, disciplines, qu’avec un
peu de condescendance, le ministère qualifie volontiers de « disciplines papier crayon ».Ainsi, et selon les chiffres donnés par Zuber, l’écart entre les lettres et la médecine va de 1 à3…

En fait, et selon un phénomène paradoxal mais observable hélas dans beaucoup d’autres univers sociaux, dans l’enseignement supérieur comme ailleurs, l’argent (public) va plutôt d’abord aux héritiers et donc à ceux qui ont déjà le plus de capital. C’est-à-dire que ce sont généralement les étudiants d’origine favorisée qui bénéficient des financements les plus importants, comme des meilleures conditions d’études. Et ici je ne parle pas du cas de ces élèves de grandes écoles, dont les études sont intégralement prises en charge par l’Etat en échange de quelques années de bons et loyaux services…

Ce constat de l’inégalité de notre système d’enseignement supérieur, et partant de ses fonctions de reproduction sociale, est à peu près unanimement partagé. Or ce qui est étonnant avec les réformes lancées par Valérie Pécresse, c’est que le souci de la démocratisation semble avoir complètement disparu de l’agenda politique. Il ne s’agit plus de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur – et surtout à ses différentes composantes dont on a vu pourtant à quel point elles sont ségrégées socialement – mais de faire en sorte que l’université
fonctionne le mieux possible d’un point de vue strictement managérial. Et que, conformément
au crédo néolibéral dominant (n’est-ce pas Marx qui disait que « l’idéologie dominante est celle de la classe dominante » ?), elle soit toujours plus économique (il s’agit alors, comme dans d’autres secteurs, de « faire plus avec moins » selon la formule des consultants) et revienne le moins cher possible à l’Etat. D’où des incitations constantes, et de plus en plus pressantes et oppressantes pour l’autonomie académique et scientifique des universitaires, à trouver des fonds propres, à développer le secteur lucratif au sein des universités comme au CNRS (par exemple la formation permanente, les services d’activités industrielles et commerciales, la recherche appliquée, les dépôts de brevets, la création de start up, etc.). Ce qui, avec l’autonomisation et la mise en concurrence croissante des établissements, devrait, fort logiquement, aboutir à une explosion des droits d’inscription, sur le modèle de ce qu’on
observe en Grande Bretagne par exemple.

En fait, il est clair que les réformes actuelles, loin de vouloir lutter contre ces inégalités vont plutôt les amplifier et ce ne sont pas les mesures cosmétiques du Plan réussite en Licence qui contrediront cette tendance. Car un des objectifs du ministère au travers -entre autres plans de la même eau – du Plan campus, est d’aboutir à une différenciation, hiérarchisation accrues des établissements d’enseignement supérieur, censées contribuer ensuite à l’avènement de dix « pôles d’excellence », reprenant alors les mesures préconisées en son temps par le Rapport Attali. Lesquels seraient susceptibles ensuite de rivaliser avec leurs congénères dans le dérisoire palmarès de Shanghai. Palmarès dont on soulignera d’ailleurs qu’il est complètement ignoré aux Etats Unis… Bref ces réformes creuseront encore plus les écarts, et les inégalités, qui sont pourtant déj&#
224; si considérables entre les différents segments de l’enseignement supérieur français. Ce qui, pour une université comme Paris VIII Vincennes-St Denis dont on connaît le bassin de recrutement, la faible capacité à générer des fonds propres en raison notamment des disciplines qui y sont enseignées, est lourd de conséquence.

Annexes.

1) Se reporter pour les chiffres et tableaux sollicités à. Repères et références statistiques, Ministère de l’Education nationale, 2008, et Repères et références statistiques, 2003.

2) Sur la « démocratisation scolaire », voir Stéphane Beaud, 80% au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, la Découverte, 2002.

3) Pour mieux comprendre les dernières réformes de l’université, se reporter à : Abélard, Universitas calamitatum, le livre noir des réformes universitaires, éd du Croquant, 2003. On retrouvera dans cet ouvrage, rédigé au moment du passage au LMD de l’université française, la plupart des données statistiques mobilisées ici ainsi qu’une analyse prémonitoire des réformes en cours ; et voir Christophe Charle et Charles Soulié (dir), Les ravages de la « modernisation » universitaire en Europe, Syllepse, 2007.

PS : Le titre et la découpe du cours sont de la seule responsabilité de la Fondation Copernic.