Ce jeudi 21 mars, "Le Figaro" a révélé l’intention du Conseil d’État d’émettre son opposition à la taxe à 75% au motif qu’elle serait confiscatoire. Et l’organe consultatif de l’abaisser à 66,66%. Mais qu’est donc le Conseil d’État pour s’exprimer ainsi ? Et surtout, ce seuil a-t-il un sens ? On en discute avec Philippe Légé, membre des Économistes Atterrés.
Taxe à 75%. Si les informations parues dans "Le Figaro" sont exactes, le seuil de 66,66% évoqué par le Conseil d’État me paraît véritablement ridicule.
Que ce soit sur un plan économique ou moral, le caractère confiscatoire d’un impôt est difficilement démontrable. Vouloir définir un seuil chiffré n’a pas de signification économique. Quelles connaissances scientifiques permettraient de le fixer ? Je rapprocherais une telle démarche de l’établissement du seuil maximal de 3% du PIB pour le déficit budgétaire des États membres de l’UE. Un chiffre lui aussi totalement arbitraire.
A la fin des années 1970, l’économiste américain libéral Arthur Laffer avait cherché à étayer la croyance en un seuil maximal. Il partait du présupposé d’une fiscalité désincitative et voulait montrer que "Trop d’impôt tue l’impôt". Une maxime qui voudrait qu’à partir d’un certain seuil, l’impôt deviendrait contre-productif dans le sens où tout surcroît d’imposition entraînerait en fait une baisse des recettes fiscales à cause de l’exil fiscal ou du découragement des citoyens à entreprendre de peur d’être trop taxés. Mais on n’a jamais démontré l’existence d’un tel seuil.
Confiscatoire et désincitatif ? Encore faux
Entre 1932 et 1980, jusqu’à ce que l’administration Reagan mette en place une fiscalité libérale, il y avait aux États-Unis un taux d’impôt marginal sur le revenu de 82% en moyenne. En Grande-Bretagne, jusqu’en 1973, il y avait une surtaxe sur les hauts revenus de 50%, qui fut remplacée par un taux d’imposition marginal de 83% pour les revenus annuels supérieurs à 24 000 livres de l’époque, soit environ 100 000 euros aujourd’hui. Une disposition qui disparut à l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir.
Dans ces deux pays, on avait donc pour les hauts revenus une fiscalité plus élevée que le projet aujourd’hui remis en cause par le Conseil d’État en France. Pourtant, les recettes fiscales ne diminuèrent pas pour autant.
En ce qui concerne un éventuel taux marginal à 66%, il faudrait surtout connaître l’assiette, c’est-à-dire les revenus auxquels ce taux s’appliquerait. Avec les Économistes Atterrés, nous préconisions dans notre ouvrage "Changer d’économie", un taux d’imposition de 50% à partir de 10 SMIC par mois et un taux que nous avions volontairement appelé "confiscatoire" à partir de 20 SMIC.
Une dérive anti-démocratique
Mais il n’y a pas que le ridicule qui l’emporte dans cette histoire. Après la Cour des comptes qui prescrit au gouvernement français sa politique économique, après le Conseil constitutionnel qui censure cette même taxe à 75% et après le Haut conseil des finances publiques mis en place par le gouvernement lui-même pour surveiller le suivi des politiques mises en œuvre pour atteindre la pseudo "règle d’or", c’est au tour du Conseil d’État de donner son avis sur ce qui constituerait un prélèvement confiscatoire.
Les organes non-élus se gênent de moins en moins pour outrepasser leur rôle. C’est d’autant moins acceptable pour le sujet qui nous concerne que la Constitution ne dit pas un mot sur un éventuel taux d’imposition à ne pas dépasser. Il a fallu attendre 2007 pour que le Conseil constitutionnel se décide soudainement à expliquer que l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (relatif à la fiscalité) ne pourrait être appliqué si l’impôt devenait "confiscatoire". Ainsi, deux siècles après cette Déclaration, on la réinterprète pour mieux l’instrumentaliser.
Le gouvernement n’a pas l’air de vouloir de cette mesure
Inquiétant aussi, le fait que la majorité semblait avoir anticipé l’avis supposé du Conseil d’État, par la voix du rapporteur de la Commission des finances de l’Assemblée, le député socialiste Christian Eckert. Celui-ci avait déjà évoqué la piste d’une taxe à 65 ou 66%, avant même que le Conseil d’Etat ne rende son avis. Mais j’ai beau réfléchir, je ne parviens toujours pas à deviner ce qui est passé dans la tête de certains pour décider de ce chiffre.
Le constat est que François Hollande a fini par laisser dénaturer une mesure qui le marquait à gauche au moment de la campagne présidentielle, en ne la préparant pas suffisamment et en se conformant à des décisions contestables. Mais à côté de ça, il n’y a visiblement aucune difficulté pour adopter le pacte de compétitivité, qui lui, n’avait pas été annoncé. Ainsi de nouveaux cadeaux fiscaux pour le patronat seront financés par une hausse de TVA et des coupes budgétaires dans les services publics.
Il y aurait malgré tout un point positif à cet avis, puisque le gouvernement semble avoir décidé d’élargir l’assiette de cet impôt, qui ne devait concerner que les revenus d’activité et pourrait être étendu aux revenus du capital. Mais globalement, le principal élément à retenir de cette affaire, c’est qu’un organe non-élu peut servir d’alibi aux détenteurs du pouvoir politique, c’est donc une très mauvaise nouvelle pour la démocratie. C’est la porte ouverte aux projets libéraux de marginaliser les choix du peuple.