Luc Beal-Rainaldy, inspecteur du travail, a brutalement mis fin à ses jours le mercredi 4 mai dans les locaux du Ministère du Travail, à Paris. Vendredi 13 mai, les salarié-e-s de l’Inspection du Travail (Direccte) de la Sarthe avec le SNUtefi et la CGT ont rendu un dernier hommage à Luc.

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Hommage lu par Nadine, responsable du SNUtef 72, au nom des personnels de la Direccte 72

chers collègues, chers camarades,

Le 4 mai, notre ami et secrétaire national, Luc Beal Rainaldy, s’est suicidé en se jetant du 5e étage des escaliers intérieurs de la Dagemo

Il est trop tôt, bien sûr, pour analyser cet acte d’une violence inouïe, qui laisse l’ensemble de notre syndicat et du mouvement syndical effondré, dans une douleur vive et dans une seule urgence nous retrouver pour soutenir la famille de Luc. Le choix de Luc, de se donner la mort au milieu des locaux du Ministère, ce choix, a donc une signification profonde.

Il nous interpelle vivement, il interpelle chacun de nous.

Comment notre organisation syndicale n’a pu éviter de perdre ainsi l’un des siens ?

Comment et par quels mécanismes arrive t on à une telle conclusion ?

Et surtout, comment se produit une si grande désespérance, chez un camarade aguerri aux luttes syndicales, militant dans l’âme, un porteur d’espoir ?

On a pu lire ça et là, dans la presse et ailleurs que le geste de Luc serait dû à des problèmes personnels. Ce serait tellement simple !!! ouvrons les yeux…..

Jusqu’au dernier moment, Luc est resté préoccupé par les autres puisque son dernier message mail du 2 mai concernait une collègue dont le père venait de décéder. Il nous demandait de prendre soin d’elle

C’est pourquoi, le suicide de Luc, la façon dont il l’a voulu, est celui d’un homme qui a décidé de cesser le combat. Il ne faut pas se tromper sur son sens. Il ne faut pas trahir Luc.

Ce suicide au cœur même du ministère succède à des suicides aussi spectaculaires et dénonciateurs chez France Télécom et Renault, entre autres. Mais pour autant, Luc n’était pas une statistique ; il était militant syndical depuis longtemps et secrétaire national du SNU-TEF depuis 2001.

Il s’était engagé tant dans la FSU que dans le combat pour les droits des SANS PAPIERS.

Suite aux 3 plaintes déposées par le SNU-TEF-FSU auprès du BIT( bureau international du travail) EN 2005, 2008 et 2010, le BIT a condamné les pratiques dévoyées de police des étrangers.

Luc était disponible pour tous, généreux de son temps et de sa personne. Nous l’avons souvent sollicité dans notre section syndicale sarthoise. Il était toujours à notre écoute.

Mais il faut bien dire que l’on s’use.

Que l’on vieillit.

Et que c’est épuisant.

Epuisant d’assister impuissants à la mise à bas du service public et à la mise en place de la RGPP, immense régression sociale, présentée comme une modernité.

Epuisant de rappeler constamment les droits fondamentaux des agents.

Epuisant de ne rien obtenir en négociation collective

Epuisant aussi d’avoir raison en vain.

Nous sommes en 2011 : le Conseil d’Etat vient d’annuler pour illégalité, une note ministérielle de 2009 sur l’organisation de l’Inspection du Travail.

Bien qu’il émette une réserve de fond entre les lignes, le Conseil d’Etat a-t-il pu analyser totalement sur le fond cette note ? Non. Et pourquoi ?

Parce qu’elle est d’emblée illégale pour des raisons de forme.

Le CTPM, l’équivalent du Comité Central d’Entreprise, au ministère du Travail, en 2011, n’a pas été consulté.

Il a fallu que nous saisissions le Conseil d’Etat pour obliger le Ministère à admettre ce simple fait.

Et ce, chez les chantres du dialogue social.

Comment voulez vous que l’on ne soit pas fatigués ?

Pensez y, pensez à Luc, que vous soyez décideurs ou que vous soyez amenés à avoir envie de questionner : « mais que font les syndicats ? ».

Le syndicat, ce n’est pas une compagnie d’assurances !!!

Si l’on ne veut pas que les syndicats ne puissent qu’enterrer leurs morts, il faut redevenir raisonnable.

Se soutenir, être, penser, pouvoir négocier et agir collectivement, vouloir un monde humain.

Luc notre ami et camarade, nous ne t’oublierons pas et continuerons ton combat.

La lettre de Gérard Filoche

Luc Béal-Raynaldi

C’était un vieil et bon ami, depuis des décennies, un frère autant qu’un collègue, il était venu me saluer à mon pot de retraite le 10 décembre dernier. C’était un excellent syndicaliste de l’inspection du travail, convaincu, sérieux, calme et très tenace à la fois. Un homme doux et respecté. Que dire alors qu’une émotion terrible m’étreint depuis l’annonce de son suicide ? D’abord, toute mon affection à sa femme, une de nos chères collègues, elle aussi, et à ses deux enfants. Puis une incompréhension totale, une stupeur interrogative : comment peut-on en arriver là, se jeter dans les escaliers depuis le 5° étage dans les locaux de l’administration générale et de la modernisation des services (DAGEMO) du ministère du travail, à quelque pas de la Direction générale du travail ? Je sais qu’il y a une statistique élevée de suicides parmi les fonctionnaires, je ne connais que trop bien toutes les dérives « managériales » détestables que la DGT veut mettre à l’œuvre contre les missions républicaines de l’inspection du travail, je sais que cela a des effets en profondeur dans les services, mais Luc n’était pas une statistique, Luc avait 52 ans, Luc était un militant expérimenté, courageux. On le pleure d’abord. Mais que les manitous du ministère et de la DDTE de Paris le sachent, on continuera son combat.

Gérard Filoche

Communiqué de la Fondation COPERNIC
en hommage à Luc Beal Rainaldy

La Fondation COPERNIC rend hommage à Luc Beal Rainaldy, 52 ans, Inspecteur du Travail, secrétaire national du SNUTEFE FSU (1), qui s’est donné la mort le 4 mai dernier dans des locaux du Ministère du travail et dont les obsèques ont eu lieu le 13 mai 2011 à Fontenay-sous-Bois (94). Ce fut une émouvante cérémonie, en présence de nombreux collègues, syndicats et association, où ses engagements au service de la défense des droits des salariés ou des « sans papiers » ont été soulignés. Nous partageons la consternation et la douleur de ses camarades et proches.

Si un suicide procède toujours de l’addition de plusieurs facteurs, le contexte où il survient, exprimé par Luc Beal Rainaldy dans sa dernière lettre, met en lumière un phénomène jusque-là occulté : les dégâts humains de la revue générale des politiques publiques – RGPP – soit la restructuration brutale des services de l’Etat, menée au pas de charge depuis 4 ans.

Cette autoproclamée « réforme de l’Etat » emprunte les mêmes méthodes que les restructurations dans les groupes industriels et commerciaux, elle promet toujours de faire mieux avec moins… Et produit fatalement des effets similaires dans les services publics (fonctions publiques, « opérateurs » comme Pôle Emploi , Sécurité Sociale…) : suppressions de postes, réorganisations permanentes, perte de sens sur les missions ; s’y ajoutent la paupérisation et l’inefficacité organisées, et jusqu’à la sécurité de l’emploi qui se trouve aussi remise en cause.

Ainsi les risques psycho-sociaux (intensification du travail, individualisation, harcèlements…), apparus au grand jour à travers les cas de France-Télécom ou Renault et contre lesquels les services du Ministère du travail ont été sommés de se mobiliser, émergent ils en son cœur. Le phénomène des suicides professionnels progresse dans plusieurs administrations et sort enfin de l’ombre (2).

Lors d’un colloque co-organisé par la Fondation COPERNIC et le Monde Diplomatique en juin 2009, ce constat avait été posé : « …A l’instar du secteur privé, ces maux gagnent l’administration. Les personnels ont l’impression de voir émerger en son sein des travers qu’ils étaient censés aider à endiguer dans les entreprises… » (3).

Il va falloir faire reculer et battre cette transformation en profondeur du service public qui le dénature, au prix de la souffrance des agents, et conduit à des drames.

Les combats sans concession et si généreux de Luc sont un exemple pour toutes celles et ceux qui l’ont côtoyé.

Aux côtés de beaucoup d’autres, nous allons les continuer.

La Fondation Copernic, le 16 mai 2011

1. Syndicat national unitaire Travail Emploi et Formation économie – FSU.

2. Cf. Libération – 16/04/11 "Services publics : un malaise face à l’hémorragie".

3. L’Etat démantelé, Ed. La Découverte, 2010, Chapitre 12, "La réforme des services déconcentrés de l’Etat. L’exemple de l’Inspection du Travail", p.200-210.


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