« Alternance, alternance »,
du slogan à l’arme anti-fonctionnaires.

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Une nouvelle circulaire du MEN et du MESR sur « la professionnalisation des formations de master pour les étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement », en date du 14 septembre 2011, présente l’organisation des stages pour les étudiants inscrits en master ou pour ceux qui, déjà titulaires d’un master, sont inscrits dans des formations préparant aux concours de l’enseignement. Elle revient également sur la voie de l’apprentissage, qui bien qu’annoncée en juillet 2010, n’a finalement pas été développée en 2010-2011.
Rappelons-nous en effet les quelques paragraphes finaux d’une brève circulaire du 13 juillet 2010 sur « l’organisation des stages pour les étudiants en master se destinant aux métiers de l’éducation » (http://www.education.gouv.fr/cid52619/menh1012605c.html), qui donnaient quelques indications sur des masters en alternance et la voie de l’apprentissage « à titre expérimental ».

Cette nouvelle circulaire, qui abroge la précédente, précise tout à la fois la nature, les conditions d’attribution des stages, les dispositions administratives et financières correspondantes (les trois premiers points de la circulaire) mais surtout « l’expérimentation du master en alternance » (le 4e point occupe près des deux tiers de la circulaire).

Ce faisant, le gouvernement, fidèle à sa stratégie de séduction grossière, paraît apporter certaines « réponses » aux besoins de formation professionnelle des enseignants mais, en ne s’adressant qu’à des étudiants, précipite du même coup la destruction des conditions de recrutement stable des enseignants dans la fonction publique. Il fait de l’ « alternance » son slogan magique, sans s’interroger sur ce que signifierait une véritable formation en alternance et surtout, poursuit sa stratégie d’attaque systématique de la fonction publique. Il accule ainsi les étudiants à faire un choix cornélien entre, d’une part, une expérience de terrain lors de leur master, rémunérée – faiblement en réalité – et associée à des contrats de précarité, et, d’autre part, la préparation sérieuse d’un concours de recrutement de la fonction publique, mais dépourvue ensuite de réelle formation alternée en année de stage.

Des stages encadrés par qui et pour qui ?
Si ce sont les « établissements d’enseignement supérieur » qui coordonnent et structurent l’action des formateurs lors de ces stages dans le cadre de conventions académiques, il n’est nulle part fait mention du rôle des personnels de l’université. Les « formateurs » mentionnés sont les enseignants titulaires des établissements où se déroulent les stages ; ils sont également les « maîtres de stages chargés de l’accompagnement et du suivi des étudiants effectuant un stage en responsabilité », qu’ils soient « dans le premier degré, professeurs des écoles-maîtres formateurs, conseillers pédagogiques de circonscription et dans le second degré, professeurs conseillers pédagogiques (enseignants, documentalistes) ou CPE ». L’articulation entre formation universitaire et pratique de terrain est singulièrement absente de cette circulaire.

Il apparaît d’ailleurs clairement que tous les étudiants ne pourront exercer de stage en responsabilité, ceux-ci seront prioritairement ouverts aux étudiants de M2 admissibles aux concours – ce qui correspond à la défense de l’intérêt des élèves tout en introduisant aussi de l’inégalité entre les étudiants d’un même master.
Cependant, la rigueur dans l’attribution des stages en responsabilité est à géométrie variable : « certaines situations peuvent justifier une souplesse dans l’offre faite aux candidats. En particulier, un candidat titulaire d’un master, admissible à l’un des concours et inscrit au Pôle emploi, au CNED ou dans un établissement privé peut, dans la limite des possibilités de l’académie, être autorisé à effectuer un stage. »

Des « agents contractuels de droit public » : accoutumer à la précarité

Les conditions statutaires et financières de « gratification » des étudiants stagiaires étaient jusque là demeurées floues. C’est sans doute là l’essentiel et un des objectifs majeurs de cette circulaire que d’apporter les précisions nécessaires en ce domaine Sur le plan du statut, elle fait des étudiants en stage en responsabilité … des « agents contractuels de droit public » – comme si la circulaire évitait le terme de « fonction publique », conformément à l’article 6-2e alinéa de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, qui stipule : « Les fonctions correspondant à un besoin saisonnier ou occasionnel sont assurées par des agents contractuels, lorsqu’elles ne peuvent être assurées par des fonctionnaires titulaires ». Loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat. Il s’agit donc bien
pour le ministère d’utiliser les étudiants comme des remplaçants occasionnels.

Cela signifie aussi pour les étudiants exercer un premier emploi dans la fonction publique comme agent contractuel précaire. Ces contrats peuvent apparaître comme une amélioration (possible prise en compte de l’ancienneté etc.) par rapport à la situation des vacataires. Cependant, c’est leur inscription dans une séquence au cours de laquelle se succèdent une phase de formation professionnelle dans le cadre de masters, puis un éventuel recrutement par concours non suivi d’une véritable formation en alternance lors de l’année de stage, qui pose un problème majeur et en fait un outil de sape de la fonction publique. Sachant que le triple objectif assigné aux masters métiers de l’enseignement – préparer un concours, mener à bien un travail de recherche dans le cadre de l’initiation, entrer progressivement dans la pratique du métier d’enseignant – est intenable de manière sérieuse. Dans le cadre d’une réforme correctement élaborée, les stages pourraient à la fois servir d’apport dans la partie formation du master par une articulation correcte entre cours et pratique du terrain. Il pourrait aussi avoir un intérêt formatif dans la perspective du concours et notamment de l’oral.

Cette circulaire, en faisant complètement l’impasse sur ces aspects n’apporte pas de solution au dilemme dans lequel se trouvent placés les étudiants : mettre toutes les chancesde leur côté d’obtenir un poste de professeur titulaire de la fonction publique, privé de fait de formation professionnelle, ou mettre l’accent sur la pratique des stages au détriment de leur préparation aux concours et pour ceux qui seront effectivement « collés », s’habituer à cette situation de contractuels de l’Éducation nationale car, de fait, qu’aurontils travaillé d’autre pendant leurs années de master des métiers de l’enseignement que la pratique de classe, le fonctionnement d’un centre de documentation ou « l’animation d’un service de vie scolaire » ?

Financièrement, l’opération, qui peut séduire des étudiants en difficulté financière, est très éloignée du processus de revalorisation des métiers de l’enseignement moult fois annoncée. Les 495,44 € hebdomadaires pour un tiers temps (limités à 40 jours et six semaines, soit 2 972,64 € annuels au maximum) sont bien loin des 16 400 euros annuels des anciens stagiaires de 2e année des IUFM, PE2 ou PLC2, pour un tiers temps de service également. Cette somme si précise de 495,44 € correspond en fait à un salaire mensuel brut de 1486,32 € (36 semaines x 495,44 €,rapportés à 12 mois)… il s’agit en fait du salaire de recrutement des contractuels dans le second degré. Cette somme correspond à l’indice de rémunération 340 dans la fonction publique. Or, les enseignants sont aujourd’hui recrutés au 3e échelon soit à l’indice 410. Cet indice 340 correspond à une ancienne grille de recrutement de contractuels de 3e catégorie, de niveau CAP, BEP, d’autres diplômes de niveau Bac ou Bac + 2, sans expérience. Quel avantage pour le ministère – et quel mépris – de rémunérer ainsi des étudiants de niveau Bac + 5.

« Master en alternance » ou une main d’oeuvre souple à disposition de l’Éducation nationale

Dans les masters estampillés « en alternance » (même si les simples masters métiers de l’enseignement font aussi alterner des phases de formation universitaire et de stages, limités à 6 semaines), le temps passé en établissement est beaucoup plus long que dans les simples masters métiers de l’enseignement. Ceux-ci prévoient de fait aussi une alternance de phases de formation universitaire et de stages, mais la durée de ceux-ci est limitée à 6 semaines. Dans le cadre de ceux-là, elle est au maximum du « tiers de service annuel du corps de référence ». Le centre de gravité de la formation se déplace de l’université vers le terrain.

Le personnel de l’université n’est nullement évoqué dans la section dédiée à l’ « accompagnement des stagiaires en alternance », assuré par un « maître de stage », « identifié pour ses qualités professionnelles », mais non par des compétences dans le domaine spécifique de la formation, « qui les guide et facilite la construction des compétences attendues », ainsi que par les « chefs d’établissement d’accueil et directeurs d’école ».

Le temps passé sur le terrain est considéré comme faisant partie de la formation et l’université devra « prendre en compte les acquis des séquences de formation en milieu professionnel pour aménager la formation. Cette prise en compte permet une validation de tout ou partie d’unités d’enseignement constitutives du diplôme national de master préparé. Les modalités de cette évaluation sont déterminées conjointement avec le maître de stage désigné». L’université délivre encore les diplômes, mais ce sont largement les personnels des établissements où se déroulent les stages qui forment et, en partie, évaluent.

Les activités en milieu scolaire des stagiaires des masters estampillés « en alternance » peuvent être extrêmement variées : outre celles qui correspondent à l’apprentissageprogressif du métier dans lequel l’État recrute par concours, ils peuvent aussi « offrir un soutien scolaire à des groupes restreints d’élèves […] effectuer des missions de surveillance… ». Un personnel multitâche en quelque sorte, qui servira de rustine pour pallier les lacunes en personnel qualifié des établissements scolaires.

On se demande par ailleurs comment leurs emplois du temps permettront, notamment dans le second degré, de combiner un tiers temps en responsabilité de classes et le suivi des cours de master. Prenons le cas d’un candidat au CAPES, effectuant 6 heures d’enseignement en collège, ce qui peut représenter de 2 à 6 classes selon la discipline. Les chefs d’établissements ne pourront grouper ces heures sur une, deux ni même trois journées hebdomadaires. En mathématiques par exemple, une classe de collège a 4 heures de cours par semaine, mais pas plus d’une par jour. Pour les étudiants, suivre en même temps les cours de master reviendra à la quadrature du cercle…

Ces étudiants stagiaires « en alternance » auront aussi le statut de contractuel de droit public. La circulaire du 12 juillet 2010 avait envisagé pour eux le statut d’assistant d’éducation, or ceux-ci ne sont pas habilités à exercer des tâches d’enseignement en responsabilité1. C’est aussi sans doute une des raisons majeures de l’existence de cette nouvelle circulaire. Celle-ci stipule en effet que ce contrat d’AED est « dans un second temps complété ou remplacé par un contrat permettant l’exercice en responsabilité de la fonction envisagée », de même type que les contrats mentionnés pour les étudiants stagiaires des masters non
dits « en alternance ». Combien d’heures annuelles ces étudiants assistants d’éducation puis stagiaires contractuels finiront-ils par cumuler ?

Comment croire qu’ils puissent, même si les modalités d’évaluation sont aménagées, préparer sérieusement un diplôme de master adossé à une recherche ainsi qu’un concours de recrutement de la fonction publique ? Mais ce n’est sans doute pas la finalité de ce dispositif estampillé « en alternance ».

Le retour de l’«apprentissage»

La voie de l’apprentissage était évoquée dans la circulaire du 13 juillet 2010 mais, pratiquement, elle n’a pas été développée au cours de l’année 2010-2011, onéreuse pour l’employeur, c’est-à-dire l’Education nationale. La voie de l’apprentissage est pourtant présentée par cette circulaire comme une voie de développement de l’alternance dans le secteur public, et qui de fait donne un poids très important à l’Education nationale qui « assure à l’apprenti une formation professionnelle complète correspondant au métier choisi », l’université élaborant « le dispositif pédagogique en étroite liaison avec le rectorat d’académie et les établissements d’accueil ».

On pourra être surpris de lire que « la durée du cursus de l’apprenti est établie conformément aux dispositions de l’article R 117-6 et suivants du Code du travail »… celui-ci étant abrogé depuis 2008, et remplacé par l’article R 622-6 du même code.

Il stipule que :
« Sous réserve des dispositions des articles R. 6222-7 et R. 6222-8, la durée des contrats d’apprentissage conclus pour la préparation d’un diplôme, ou d’un titre à finalité professionnelle inscrit au répertoire national des certifications professionnelles, est fixée à deux ans. Pour la préparation d’un titre d’ingénieur diplômé ou d’un diplôme d’enseignement supérieur long, la durée du contrat est portée à trois ans, lorsque telle est la durée réglementaire de préparation du diplôme. »

La distinction administrative entre les voies « recherche » et « professionnelle » des masters étant de fait devenue floue, la porte est ouverte à de multiples situations, y compris celles d’étudiants « apprentis » s’engageant sur des voies de formation extrêmement lourdes, de statut précaire et d’une durée de trois ans ! Dans ce cas de figure, s’ils réussissent du premier coup leur concours, ils seront recrutés à Bac + … 6 ! Le cynisme n’a plus de borne dans la mesure où ce dispositif est présenté comme permettant « de répondre à la volonté d’ouverture sociale de la formation aux métiers de l’enseignement ». Il creuse de fait la différence entre les étudiants ayant le plus besoin de financer leurs études et ceux qui sont socio-économiquement plus avantagés.

Enfin, pour ces apprentis « sur l’ensemble du cursus, une expérience significative dans le degré autre que celui où s’effectue la formation est prévue ». Ainsi, ce sont bien de futurs enseignants « tous terrains » qui seront ainsi « formés », faisant voler en éclat la notion d’appartenance à un corps spécifique de la fonction publique. La circulaire annonce enfin un référentiel de la formation aux métiers de l’enseignement et de la formation à venir, à destination des universités, sans doute en remplacement du cahier des charges de la formation des enseignants, abrogé par l’arrêté du 12 mai 20102 – celui-ci se contentant de donner une simple liste de compétences en annexe. L’article L 625-1 du code de l’Éducation stipule pourtant l’existence nécessaire d’un cahier des charges de la formation des maîtres en IUFM, concernant les étudiants préparant les concours ainsi que « les stagiaires admis à ces concours ».

Mais cette circulaire a davantage pour objet de faire glisser des éléments de formation professionnelle en master en amont des concours, sans s’intéresser à la formation professionnelle alternée en année de stage pour les lauréats des concours. L’enjeu est bien davantage de « professionnaliser » des étudiants et d’en faire des contractuels de la fonction publique que de garantir les voies de leur recrutement par concours de la fonction publique d’État.