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Sur quels faits se base-t-il ?
Sur une augmentation de la délinquance qui serait de plus en plus jeune et de plus en plus violente. Cette vague toucherait aujourd’hui les jeunes filles. Il se base aussi sur l’existence de bandes organisées où les mineurs prendraient de plus en plus de place.
Rappelons que les chiffres mis en avant sont régulièrement contestés par les spécialistes de cette question. Rappelons aussi que la réalité des bandes surtout lorsque des adolescents sont impliqués, est mouvante et aléatoire en raison justement des caractéristiques de l’adolescence qui conduisent à des regroupements circonstanciels et d’identification. Ainsi, une fois de plus, ce gouvernement se livre à des amalgames d’autant plus scandaleux qu’ils concernent des enfants dont, par ailleurs, une proportion minime commet des délits.
Si des enfants commettent des délits ou sont livrés à eux-mêmes, c’est parce que leurs familles sont confrontées à de graves difficultés. Le plus souvent, ces difficultés sont liées à la précarité, à l’exclusion économique et sociale, à l’enclavement de certains quartiers, de certaines villes. Elles produisent des dysfonctionnements et des désordres familiaux dans lesquels les parents se débattent, sans pouvoir toujours faire face à l’éducation de leurs enfants. Face à des problèmes aussi complexes qui nécessiteraient avant tout des dispositifs ambitieux de prévention et d’éducation, un couvre-feu est une mesure totalement inefficace. Par ailleurs, comment les policiers pourront-ils détecter que ces enfants, dehors, à la nuit tombée, ont commis un délit ? Et est-ce à dire qu’on ne s’intéresserait pas aux enfants qui n’ont pas commis de délit ? Par cette simple incongruité, on voit bien que c’est le souci de maintien de l’ordre qui prévaut sur celui de la protection. En fait de mesure simple, comme l’a souligné le ministre, c’est une mesure simpliste. Elle n’en est pas moins extrêmement dangereuse car elle perpétue l’idée que ces enfants ne sont plus des enfants mais des mineurs dangereux à l’égard desquels des mesures d’exception devraient s’appliquer. Au lieu de nourrir la peur de la société vis-à-vis de ses enfants, le gouvernement gagnerait en respectabilité s’il s’employait à tout mettre en œuvre pour éviter leurs dérives.
Après le retour du fichier EDVIGE qui prévoit le fichage d’adolescents de 13 ans, voici le couvre-feu pour les enfants de moins de 13 ans ! Alors que dans les prochains mois un projet de Code de Justice Pénale des Mineurs va être présenté à l’Assemblée Nationale, cette réactivation de la délinquance juvénile comme thème électoraliste ne peut que laisser présager un projet des plus répressifs.
Le SNPES-PJJ/FSU le combattra, comme il dénonce aujourd’hui le projet hautement démagogique du couvre feu pour les mineurs de moins de treize ans.
Le point de vue et l’analyse de Laurent Mucchielli, Sociologue, directeur de recherche au CNRS
article publié sur son site
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C’est avec un très grand étonnement que l’on prend connaissance, sur le site Internet du Monde dès le mardi 3 novembre au soir, des déclarations du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, relatives à la possibilité d’instaurer un «couvre-feu ciblé sur des mineurs délinquants de moins de 13 ans».En effet, au terme des connaissances disponibles et des données statistiques publiées (inclus la parution le 20 octobre 2009 des dernières statistiques judiciaires), on ne voit absolument pas sur quoi peut reposer ce nouvel emballement politico-médiatique. Faisons
au moins les observations suivantes sur l’argumentation du ministre, les premières sur les chiffres qu’il cite, la dernière sur le phénomène très concret qu’il prétend combattre ainsi.
1/ La part des mineurs dans la délinquance aurait progressé « de 5 % en un an pour atteindre 18 % » ? Rappelons d’abord qu’il s’agit en fait de la part des mineurs mis en cause par la police et la gendarmerie, ce qui n’est nullement un sondage sur la délinquance des mineurs. Indiquons ensuite que cette source statistique indique une proportion de mineurs qui tourne autour de 18 % de manière quasi parfaite depuis 2004 et qui a baissé au cours des dix dernières années puisqu’elle était de 22 % en 1998
2/ Rappelons toutefois que les statistiques de police excluent de leur comptage plusieurs types de délinquance, notamment toute la délinquance routière et les contraventions de 5ème classe. Les statistiques de justice sont à cet égard plus complètes. Et elles indiquent de leur côté que les mineurs ne représentent que 8,6 % des personnes condamnées en 2007 (dernier chiffre publié), soit moitié moins que dans la statistique de police.
3/ La traditionnelle petite phrase sur les délinquants qui seraient « de plus en plus jeunes et de plus en plus violents » (avec des armes maintenant !) est répétée en boucle et à l’identique depuis maintenant près de 20 ans. Avant monsieur Hortefeux, madame Alliot-Marie le répétait, et avant elle monsieur Sarkozy, et avant eux monsieur Chevènement et encore avant monsieur Debré. Cela ne repose sur rien de particulier et devient plutôt une sorte de phrase obligée d’introduction de discours pour ministres de l’Intérieur.
4/ Le comptage du nombre de mineurs dans les bandes, outre qu’il est scientifiquement contestable, ne peut par définition rien dire en termes d’évolution puisque c’est la première fois qu’on le réalise…
5/ Dans une « note statistique de (recadrage) sur la délinquance des mineurs », publiée sur ce site l’an passé, nous avions déjà relativisé grandement le problème des mineurs de moins de 13 ans auteurs d’actes de délinquance. Les derniers chiffres publiés par le ministère de la Justice vont dans le même sens :les mineurs de moins de 13 ans représentent moins de 0,3 % de l’ensemble des personnes condamnées par la justice en France.
On peine ainsi à croire qu’il s’agit d’un si gros problème…
5/ Il est exact que la part des filles ne cesse de s’élever dans la statistique policière des personnes mises en cause depuis l’année 1994 (précisément). Mais cela est dû à des changements juridiques (la réforme du code pénal entrée en vigueur en 1994) et à une moindre tolérance (comme nous l’expliquons dans notre tout dernier livre La violence des jeunes en question), et non à des modifications comportementales qui seraient survenues subitement en 1994… Il s’agit au demeurant d’une délinquance qui reste assez marginale. Dans la statistique de police (2008, dernière année complète), les filles ne représentent que 14 % des mineurs mis en cause. Environ la moitié des affaires sont des vols (et 28 % pour les simples vols à l’étalage). A quoi s’ajoutent des bagarres entre jeunes, des violences intrafamiliales, des insultes envers des adultes, un peu
de vandalisme et de consommation de drogues.
6/ Enfin, au-delà de toute querelle de chiffres, de façon très concrète et pragmatique, il est stupéfiant de lire cette conclusion du ministre ; « Je suis de plus en plus partisan d’une mesure qui aurait le mérite de la simplicité, de la lisibilité et de l’efficacité : qu’un jeune de moins de 13 ans qui aurait déjà commis un acte de délinquance ait une interdiction de sortie nocturne s’il n’est pas accompagné ».En effet, on reste confondu par la naïveté consistant à croire qu’il suffit d’édicter une règle dans une loi ou un règlement pour que des enfants et des préadolescents changent automatiquement leur comportement. On est également confondu par la méconnaissance du terrain consistant à croire qu’il existe beaucoup d’enfants de moins de 13 ans arpentant seuls les rues de France la nuit, et qu’il faudrait donc accompagner pour ne plus les laisser seuls. Lorsque le phénomène des groupes de jeunes existent et que ces groupes circulent la nuit dans l’espace public, il est d’abord rare que des enfants de moins de 13 ans en fassent partie et ensuite, lorsqu’ils en font partie, c’est précisément parce qu’ils sont déjà accompagnés
par de plus grands qu’eux !
Laurent MUCCHIELLI
Pour aller plus loin : V.Le Goaziou & L. Mucchielli, La violence des jeunes en question,
Editions Champ social, 2009, 150 pages.