Vingt-cinq des vingt-sept gouvernements européens ont adopté début mars le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) dans l’Union économique et monétaire, c’est-à-dire la zone euro, appelé plus communément "pacte budgétaire". Il doit maintenant être ratifié par les Etats.
Ce nouveau traité se présente comme un pacte de discipline budgétaire. Le pacte de stabilité et de croissance adopté à Amsterdam en 1997 prorogeait les critères de Maastricht : dette publique inférieure à 60 % du PIB, déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB. Ces règles limitaient très fortement les marges de manœuvres budgétaires, alors même qu’avec la création de l’euro, la monnaie comme outil de politique monétaire disparaissait. Elles n’ont pas été tenues, même avant la crise financière, par la France et l’Allemagne et n’ont pas empêché l’Espagne et l’Irlande qui les respectaient largement de sombrer après son éclatement. La crise a fait voler en éclats ces normes et a montré qu’il était impossible de piloter l’économie de cette façon.
Pourtant, loin d’en tirer les leçons, les gouvernements européens vont plus loin avec le TSCG en instaurant, entre autres, une "règle d’or" qui impose que "la situation budgétaire des administrations publiques (…) [soit] en équilibre ou en excédent". Cette règle sera considérée comme respectée si le déficit structurel atteint 0,5 % du PIB. Il s’agit du déficit budgétaire calculé hors des variations dues à la conjoncture. Pure construction statistique, sa mesure ne fait pas l’unanimité, est différente selon les économistes et dépend d’un certain nombre d’hypothèses qui influent considérablement sur le résultat. C’est la Commission européenne qui calculera le déficit structurel des Etats et on peut donc craindre le pire. Le rapport annuel 2012 de la Cour des comptes indique que le déficit structurel de la France était de 5 % du PIB en 2010, soit 96,6 milliards. Le ramener à 0,5 % du PIB aurait supposé une économie de près de 87 milliards d’euros ! Cette règle devra être appliquée à moyen terme et c’est, là aussi, la Commission qui en fixera le calendrier. Ainsi donc, après avoir renoncé à toute marge de manœuvre en matière monétaire, les gouvernements abandonnent totalement le levier de la politique budgétaire.
S’imposer un quasi-équilibre budgétaire, cela signifie que les investissements de long terme seront financés par les recettes courantes. Or ces investissements seront utilisés des décennies durant par plusieurs générations, il est donc absurde qu’ils ne soient financés que par les recettes du moment. Si cette règle devait être respectée, elle entraînerait l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir alors même que la nécessité de satisfaire les besoins sociaux fondamentaux et d’amorcer la transition écologique va demander des investissements massifs. Ce gouvernement par les règles – dette inférieure à 60 % du PIB, déficit courant maximum de 3 %, déficit structurel, 0,5 % -, est la marque de l’ordo-libéralisme allemand. Pour ce dernier, maintenir un bon fonctionnement des marchés suppose que les États se dotent de règles strictes. C’est le non-respect des règles qui serait à la racine des dérapages actuels des marchés financiers. Il s’agit là d’une erreur totale de diagnostic.
Le respect de ces normes suppose une cure d’austérité massive et permanente. Outre des conséquences sociales dramatiques pour les populations, une telle orientation est économiquement stupide car elle est porteuse d’une logique récessive que l’on voit actuellement s’installer en Europe. Alors que la consommation des ménages stagne ou régresse, que l’investissement des entreprises est au plus bas, se priver de l’outil budgétaire ne fera qu’accroître les difficultés économiques. Dans une Europe économiquement intégrée dans laquelle les clients des uns sont les fournisseurs des autres, une politique d’austérité généralisée, en réduisant partout la demande globale, ne peut qu’aboutir à une catastrophe. Cette récession va conduire à une réduction des recettes fiscales qui aura pour conséquence de rendre encore plus difficile la réduction des déficits que l’austérité était censée favoriser, justifiant ainsi un nouveau tour de vis, qui aggravera la situation, etc.
Ce traité va, de fait, sortir l’essentiel de la politique économique du débat démocratique et de la décision citoyenne en la mettant en pilotage automatique. Il s’agit d’un choix de société majeur pour l’avenir. Il est inconcevable qu’il soit simplement ratifié par voie parlementaire sans aucun débat démocratique réel. Il est inacceptable que les citoyens-nes ne soient pas consultés alors même que ce texte va avoir des conséquences considérables sur leurs conditions de vie et de travail. C’est pourquoi la Fondation Copernic demande que l’organisation d’un référendum afin que le peuple puisse se prononcer.
Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic