Histoire des luttes qui ont permis d’arracher 24 h puis 36 h puis 48 h de repos hebdomadaire !

L’historienne Mathilde Larrère
Je t’en prie Mathilde, de quoi veux-tu nous parler ?
— De quoi je veux vous parler ? Bah, en fait, un peu du nom, du thème du jour de l’émission.

— Du nom de l’émission du jour, c’est ça ?

— Oui, voilà. Ceux qui écoutent le podcast, on est dimanche. Et que veux-tu nous dire sur le dimanche ? Ne dis pas ça, ils vont pas vouloir aller travailler demain !

— Eh bien, c’est exactement ça que je veux raconter : pourquoi ils peuvent s’arrêter, pourquoi ils réussissent à ne pas travailler le dimanche et que, malheureusement, ils doivent bosser le lundi.

— Donc, bonjour à toutes et à tous ceux qui nous écoutent. C’est dimanche soir et, comme le disait justement mon voisin, demain, il faut retourner bosser. Là, je vous rappelle ce que disait le philosophe slovène Slavoj Žižek : vous ne détestez pas le lundi matin, vous détestez le capitalisme.

Eh bien, sachez que le capitalisme aurait bien aimé — et aimerait toujours — vous faire bosser le dimanche. Si nombre d’entre vous, mais pas tous je sais, ont pu aujourd’hui se reposer, se balader ou voir des amis, c’est grâce aux luttes sociales. Et donc, je vais vous raconter ces luttes sociales, parce que moi, j’adore raconter les luttes sociales, et vous aimez quand je les raconte.

Pendant longtemps, les travailleurs et travailleuses ont eu un appui certes inattendu, mais de poids, pour poser les outils le dimanche : l’Église. Oui, parce que comme Dieu avait créé le monde en six jours et s’était reposé le septième, les humains devaient faire de même.
Et comme l’État, au début du XIXe siècle, voulait faire plaisir à l’Église, le repos dominical était légalement obligatoire.

Le problème, c’est que le dimanche sanctifié par l’Église devait être un jour de messe, de prière. Or, pour les ouvriers, c’était plutôt une journée pour faire la fête, aller boire aux barrières, etc. Ce qui n’était pas trop au goût de l’Église. Résultat : les plus qualifiés, mieux payés, s’octroyaient parfois un jour de plus, qu’ils appelaient la « Saint-Lundi » pour provoquer l’Église.

Il y a d’ailleurs un super article de Robert Beck sur la « Saint-Lundi », je vous le conseille. Mais catastrophe, en 1880, une loi de la République supprime l’obligation du repos dominical.

Pourquoi ? Que vient faire la République là-dedans ? C’est la Troisième République. Les libéraux sont au pouvoir, et je ne vous apprends rien en disant qu’ils se moquent pas mal du bien-être des ouvriers. En revanche, ils sont farouchement anticléricaux et opposés à l’Église catholique, très puissante à l’époque.

Donc, double effet « kiss cool » : ils suppriment le dimanche pour embêter l’Église et font un cadeau aux patrons.

S’ensuivent trois décennies de lutte pour rétablir le repos dominical. Ces luttes mobilisent les travailleurs et travailleuses de l’industrie et du commerce, leurs organisations syndicales et partisanes. Dans certaines villes, les vitrines des magasins ouverts le dimanche étaient maculées de boue ou cassées, c’était la guerre contre le travail dominical.

Finalement, l’État va céder en 1906. On sortait de plusieurs semaines de grève générale après la catastrophe minière de Courrières. Il fallait lâcher du lest, et ce sera le dimanche. Ce sera le jour de repos hebdomadaire, et pas forcément pour faire plaisir à l’Église.

En général, on a aussi pu glander un peu le samedi. Ça, on le doit à des ouvrières qu’on appelait les « midinettes », des ouvrières très qualifiées de la couture parisienne. On est en pleine guerre, en 1917, et vous vous doutez bien que, vu la guerre, les gens achètent moins de vêtements. Résultat, les patrons disent aux ouvrières : « Vous me prenez votre samedi, ma petite choupette. » Ils parlaient comme ça.

Évidemment, ils ne voulaient pas les payer le samedi. Mais les ouvrières ne se sont pas laissé faire. Elles se sont organisées, ont cessé le travail et sont sorties dans la rue. Bientôt, elles étaient 70 000 en grève. Panique à bord pour l’État et le patronat, qui avaient besoin que les femmes travaillent parce qu’on était en guerre.

Ils ont donc cédé. Les ouvrières ont obtenu le samedi après-midi et le dimanche payés : un week-end de 36 heures. Bon, après la guerre, tout ça a été un peu détricoté. Il a fallu attendre 1936, l’élection du Front populaire et l’énorme mouvement de grève de mai-juin pour que soit votée la loi des 40 heures par semaine, sans réduction de salaire.

Cette loi, c’est en fait la naissance du week-end. Car la durée légale du travail était de huit heures par jour. Faites le calcul : 40 heures, ça veut dire qu’on bosse cinq jours et on se repose deux jours. Donc le samedi et le dimanche sont payés.

Les patrons, évidemment, n’étaient pas contents. Ils se plaignaient de cette « semaine des deux dimanches ».

Bref, vous devez rester vigilants, car le patronat, soutenu par une bonne partie de la classe politique, aimerait bien grignoter ces acquis. Ils ont déjà été rognés dans la grande distribution depuis les années 1970. Sarkozy en avait fait une promesse de campagne qu’il a tenue, et la macronie en a remis une couche récemment avec les JO et les vendangeurs qui ont été privés de leur repos dominical.

Donc, conclusion : n’allez pas faire vos courses le dimanche et battez-vous pour la semaine des trois dimanches, parce que c’est l’objectif final.

— Merci, Mathilde.

Mathilde Larrère : "Les femmes qui sortent du cadre sont considérées ...